par Clara Nervosa
Invité sur le plateau des 4 Vérités ce 28 avril, Fabien Roussel s’est exprimé. Et c’est peut-être cela le plus troublant. Il s’est exprimé comme un acteur qui joue un rôle dont il a oublié l’histoire — et le sens. Secrétaire national d’un parti qui fut l’âme et la colonne vertébrale de la gauche sociale, Roussel a offert non pas une vision, non pas une voix, mais une longue glissade. Une douce soumission à l’air du temps, cette obéissance enjolivée qu’on appelle désormais «disruption». Troublant pour celui qui fait la promo de son livre « Parti pris du travail » de renoncer à toute idée révolutionnaire.
Lorsqu’on l’interroge sur la possibilité de légaliser le travail le 1er mai, sa réponse désarme : « J’attends de voir le texte, moi je juge sur pièce. » Comme si le 1er Mai n’était qu’un jour comme les autres.
Or, ce jour-là n’a jamais été « du travail » — c’est précisément le contraire. C’est le jour où les travailleuses et les travailleurs s’arrogent une trêve. Une parenthèse sacrée. Un instant arraché à l’exploitation, à l’accumulation, à la précarité. Un geste collectif, ils et elles affirment une vérité simple : notre temps ne vous appartient pas.
Ce jour est politique. Il est fraternel et solidaire. Il est international. Il est aussi poétique que l’espoir. En nier la portée, c’est frapper la mémoire de Jaurès, de Thorez, de Marie-Claude Vaillant Couturier, des morts de Fourmies, de toutes celles et ceux qui ont donné un sens à ce jour sans patrons. Y renoncer, même du bout des lèvres, même « à voir », c’est déjà abdiquer.
Puis vient la question des fleuristes, des boulangers, du muguet du parti communiste. Et là, l’impensable : Roussel enjoint les camarades à ne pas trop s’approcher des fleuristes afin de ne pas leur faire de concurrence déloyale. On croirait entendre un chargé de mission de Bercy. Ce muguet, vendu quelques pièces sur un coin de trottoir, incarne une tradition populaire, désintéressée, généreuse. Et le voilà suspecté de parasitisme commercial.
Autre temps fort : la question de la proportionnelle. Ce fut longtemps un totem du PCF, pour une représentation plus juste, contre l’hyper-présidentialisation de la Ve République. Mais Roussel balaie la question du revers de la main. C’est de la « tambouille », dit-il. Le mot fait mal. Car on est ici dans le cœur même d’un projet démocratique que la gauche avait déjà gravé dans le marbre du programme commun. Certes, il évoque une « dose » de proportionnelle. Mais une dose de principe n’équivaut pas à un engagement clair.
Et puis viennent ces petites phrases, celles qu’on n’ose même plus relever, tant elles ressemblent à des scories de café du commerce.
« Travailler pour offrir des fleurs à sa fiancée » : une formule qui sent bon la réclame des années soixante. « La violence des jeunes, de plus en plus jeunes, de plus en plus violents » : un poncif sans fondement, contredit par les statistiques du ministère lui-même. Ces propos, pris isolément, pourraient prêter à sourire. Mais répétés, multipliés, ils tracent une trajectoire. Celle d’un discours qui s’aligne, lentement mais sûrement, sur les réflexes sécuritaires dominants. Et ce glissement n’est pas anodin : il alimente une logique de peur, de repli, de haine. Il justifie l’arsenal répressif. Ils creuse le lit du fascisme ordinaire.
Dernier point, douloureux : l’affaire Aboubakar
Sur le fond, Roussel s’exprime avec justesse et humanité. Mais il évite soigneusement le mot. Pas « islamophobie ». Trop connoté politiquement comme dit la droite.
À la place : « acte anti-musulman ». Plus neutre. Plus acceptable. Plus Darmanin compatible.Une manière pudique de dire sans nommer. Mais on ne combat pas ce qu’on ne désigne pas.Et s’il est un mot que les communistes doivent aujourd’hui porter sans trembler, c’est bien celui-là.
Derrière lui, les successeurs sont déjà en lice. L’un vise le Parti, l’autre l’Élysée — ou à tout le moins – en rêve ! Chacun affûte son poignard, chacun veut sa part du gâteau, ou ce qu’il en reste. Mais qu’ils sachent une chose : personne n’oubliera. L’histoire se souviendra que c’est l’alliance des rouges-vifs, des huistes et des arrivistes, qui a placé Fabien Roussel à la tête du PCF. Non pour incarner le peuple. Mais par intérêt personnel.
Ils ont troqué la classe pour la place.
La révolution pour le plateau télé.
Le Parti communiste se meurt, non de vieillesse, mais de trahisons.
Il renaîtra de la colère, du refus, du courage.
Et du sens du mot « commun ».
Laisser un commentaire