A propos de la liste conduite par Léon Deffontaines

Par Robert Injey et Frank Mouly

Les 8 et 10 mars prochains, les communistes à jour de leurs cotisations vont exprimer leur avis par un vote sur la liste proposée pour les élections européennes. Une liste que la direction nationale du Parti communiste Français (PCF) présente comme ouverte1, à l’image du « nouveau rassemblement2 » qu’elle souhaite incarner. Cette décision de présenter une liste aux élections européennes appelle plusieurs remarques :

Sur la stratégie

Même habillée aux couleurs d’un « rassemblement », cette liste entérine d’abord une stratégie d’éclatement de la gauche, loin de l’attente populaire qui s’exprime pour une gauche rassemblée avec la NUPES. Certes, le PCF n’est pas le seul responsable de cet émiettement puisqu’il résulte du choix de la plupart des forces de la gauche et de l’écologie. C’est bien sûr très préoccupant dans un contexte où les enquêtes d’opinions pronostiquent unanimement un très large succès de l’extrême droite en France et en Europe. Celle-ci serait en effet donnée en tête dans 9 pays… Il s’agirait là d’un basculement historique à l’échelle du continent, tout à fait négligé par une stratégie non seulement discutable, mais dont la longueur focale se limite aux seuls rapports de force franco-français.

Au soir du 9 juin, ce choix de l’éclatement ne peut avoir pour résultat que de réduire encore plus tout espoir, toute perspective à gauche. Pire, il confiera à l’extrême droite le soin d’apparaître en France et en Europe comme la seule alternative crédible aux politiques libérales.

Sur ce socle, l’extrême droite pourra continuer à capitaliser sur l’aspiration populaire grandissante à sanctionner le macronisme. Elle aura tout loisir de traduire politiquement les peurs et tentations de repli qui travaillent en profondeur les classes populaires comme les classes moyennes, et à nourrir ainsi le chaos qui constitue son principal carburant.

Sur le fond

Ce prisme franco-français et politicien se manifeste aussi sur le fond. On peut le vérifier en ce début de campagne du PCF par la place occupée par des thèmes souvent fort éloignés des enjeux les plus directement connectés à la construction européenne, comme celui de la laïcité, du respect des « valeurs républicaines » ou encore des vertus de l’atome pour faire face au défi climatique. C’est là aussi l’indice que c’est d’abord à partir du prisme politique national que les thèmes de la campagne risquent de se déployer, avec en réalité comme principal objectif de grignoter les parts d’un marché politique en vue des échéances de 2027.

Ne serait-il pas au contraire utile de profiter de cette échéance européenne pour renouer avec une originalité communiste, celle de bâtir une réponse internationaliste aux crises que nous affrontons ?

Plutôt que de répondre seulement par la défense d’une « exceptionnalité française » dans différents secteurs ou sur différents sujets que nous voulons préserver des offensives bruxelloises (énergie, services publics…), une réponse offensive passerait là aussi par des luttes et des passerelles politiques non seulement à gauche, mais à l’échelle du continent.

Sur le périmètre du rassemblement

Dans une intervention, Léon Deffontaines considère que la liste qui vient d’être rendue publique témoigne de « l’émergence d’un nouveau rassemblement3 ». Une déclaration pour le moins surprenante puisque cette liste ne manifeste aucun élargissement à des forces politiques et/ou des personnalités autres que celles qui soutenaient déjà Fabien Roussel aux élections présidentielles de 2022. Il en est ainsi de GRS, des soutiens de Montebourg4, du MRC, ou bien encore de la scission des radicaux de gauche. Après avoir soutenu Fabien Roussel à l’élection présidentielle avec le succès que l’on sait, ces organisations se sont constituées en Fédération de la Gauche républicaine5. Présentes aux élections législatives dans une centaine de circonscriptions, elles ont rassemblé 98.554 voix… Un attelage de circonstance en forme de Front de gauche miniature dont on voit mal comment il pourrait permettre à la liste de prendre son essor.

Si la tête de liste témoigne d’un réel rajeunissement, la « nouveauté» dont le PCF a su parfois témoigner dans la composition de ses listes n’est pas au rendez-vous.  On retrouve ainsi Emmanuel Maurel en 3e position, tentant sans doute de réussir l’exploit de se faire élire sous 3 étiquettes différentes en 3 scrutins6. Une performance rare….

Autre performance, nous trouvons Samia Jaber à la charnière des places éligibles, la porte-parole du mouvement « Engagement » créé par Arnaud Montebourg. Deux places dans les six premières… Les soutiens de Fabien Roussel lors de la présidentielle sont ainsi généreusement remerciés. Cela se traduira-t-il dans les urnes ? C’est sans doute une autre affaire.

Seule réelle nouveauté, la présence sur la liste d’une ancienne députée LFI, Muriel Ressiguier, en désaccord avec la direction de LFI depuis les municipales de 2020.

Pour booster cette liste, il faut donc compter sur le poids politique d’André Chassaigne (en 5e place) et surtout sur celui de Fabien Roussel présent systématiquement sur les tracts et les affiches (en dernière position). Cela suffira-t-il à mobiliser un électorat de gauche lassé par la guerre des ego et des petites phrases assassines ? Pas sûr non plus.

On notera favorablement que la liste comprend de nombreux syndicalistes, comme en 2019, mais cette fois sans malheureusement accéder aux places éligibles (en dehors de Sigrid Gérardin), même selon les scénarios les plus optimistes.

Au passage, constatons une fois de plus que le PCF est loin de mettre en œuvre ses propres déclarations sur la place des femmes dans la société. Le scrutin aux Européennes de 2019 est le 7e portant sur l’ensemble du pays (circonscription nationale). En 7 scrutins jamais aucune femme communiste n’a conduit la liste à l’échelon national7. Il faudra donc encore attendre.

Sur la méthode

Notons enfin que le vote des communistes des 8 et 10 mars est pour le moins tardif. Il va constituer en réalité une simple validation a posteriori de décisions déjà actées et annoncées deux mois avant le vote. Ainsi, le 10 janvier dernier, les candidats potentiellement éligibles étaient déjà présentés à la presse. Drôle de méthode. Ce n’est certes pas la première fois que les communistes se retrouvent devant le fait accompli, validant simplement une décision déjà prise depuis longtemps.

Ce fut déjà le cas pour la désignation du « chef de file » de la future liste. Ce fut le cas aussi lors de la fête de l’Huma, en septembre dernier, lorsque les communistes découvrirent une nouvelle affiche, tirée à des dizaines de milliers d’exemplaires, intronisant Léon Deffontaines en authentique tête de liste aux Européennes (déjà aux côtés de Fabien Roussel sur l’affiche). Le vote des adhérents n’interviendra, là encore, que deux mois plus tard, du 9 au 12 novembre 2023…

Une nouvelle déconvenue électorale en perspective

Ce scrutin est un véritable enjeu pour la direction actuelle du PCF. En 2019, malgré la très bonne campagne réalisée par Ian Brossat, le score de la liste avait plafonné à 2,49% et près de 565 000 voix. En 2024, l’ambition annoncée par la tête de liste de réaliser un million de voix8 apparaît très audacieuse, voire hasardeuse.

Si le score de la liste devait se situer dans l’étiage de 2019-2022, avec comme résultat très concret de porter à désormais dix années consécutives, l’absence de députés communistes au Parlement européen9, la direction pourra difficilement échapper cette fois-ci, à un examen sérieux des résultats produits par sa ligne stratégique. En 2019, pour expliquer le résultat, l’idée avancée était que le PCF n’avait plus participé en son nom propre à un scrutin national depuis longtemps10. En 2022 c’était la faute au vote utile. 2024 sonne un peu comme l’heure de vérité. 

Une nouvelle fois le scrutin des Européennes sera marqué par une multiplication des listes : 34 listes en 2019 qui vont en rajouter à l’éparpillement des électrices et des électeurs. L’évènement aurait pu être celui d’une NUPES rassemblée pour offrir une perspective face à l’extrême droite et à la droite.  Faute d’avoir été capables, ou même d’avoir voulu nous rassembler, nous laissons le terrain aux forces réactionnaires. Perspective très mortifère alors que les urgences sociales et écologiques n’ont jamais été aussi fortes.

N’est-il pas encore temps d’écouter les voix unitaires qui se font jour dans chacune des forces de la gauche pour travailler dans la durée, à une union victorieuse à gauche, pourquoi pas dès juin prochain ?


Notes

1 – 50% de non membres du PCF

2https://www.humanite.fr/politique/andre-chassaigne/europeennes-2024-le-pcf-valide-sa-liste-et-vise-le-million-de-voix

3 – Le 20 décembre 2023 sur le plateau de LCI, Fabien Roussel déclarait « Nous avons quitté la maison Nupes (…) pour en bâtir une nouvelle, plus forte, plus grande ».

4 – Arnaud Montebourg qui est régulièrement présenté de manière ambiguë par Léon Defffontaine et Fabien Roussel sur les plateaux de télévision comme un soutien à la liste du PCF a dû apporter un démenti : https://twitter.com/montebourg/status/1745715280364360028

5 – La Fédération de la Gauche républicaine, créée en avril 2022 comprend : Gauche républicaine & Socialiste, le Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), Les Radicaux de Gauche (LRDG), L’Engagement, la Nouvelle Gauche Socialiste, Les socialistes, L’Ecologie Populaire.

6 – Emmanuel Maurel candidat du PS en 2014 (circonscription Ouest), puis avec LFI en 2019 (circonscription unique) et enfin avec le PCF en 2024.

7 – Georges Marchais en 1979 et 1984, Philippe Herzog en 1989, Francis Wurtz en 1994, Robert Hue en 1999, Ian Brossat en 2019. En 2004, 2009 et 2014 la France était découpée en huit circonscriptions.  Durant cette période, il y eut au total 12 têtes de listes communistes, dont 4 femmes, mais jamais sur la circonscription la plus importante, celle de l’Ile de France. 

8 – La dernière fois que ce fut le cas c’est en 2004.

9 – Le PCF a pu compter sur deux députés européens jusqu’en 2019 (Marie-Pierre Vieu-Martin et Patrick Le Hyaric) et d’une apparentée (Marie-Christine Vergiat) ce que Fabien Roussel fait mine d’oublier en prétendant qu’il n’y a plus de députés européens communistes depuis 2009.

10 – Le dernier scrutin national sous les seuls couleurs du PCF datait de 2007.

2 réflexions sur « A propos de la liste conduite par Léon Deffontaines »

  1. Bonjour,

    je suis en accord complet avec le texte de Robert et Franck.

    Pour autant, il me semble important de définir des orientations en tant qu’Alternative Communiste qui nous positionne concrètement.

    Peut on faire la campagne pour L. Desfontaines? Non , pour moi, c’est clair.

    Comment maintenant traduit on l’appel des 24 maires dont Marie Hélène et Patrice , à l’annonce de la liste du PCF puis de celle de LFI présenté par Union Populaire sur le programme de la NUPES avec l’appel du NPA à s’unir avec LFI? De mon point de vue , la stratégie unitaire est là et Alternative Communiste pourrait faire une proposition unitaire comme le NPA l’a fait.

    Amicalement.

    Henri

  2. Quels que soient les scores des listes des gauches, quel que soit celui du PCF, on sait que le grand gagnant sera le RN.
    La stratégie du PCF est suicidaire à l’aune, non pas de ce qu’il pourra obtenir, mais du point de vue d’une stratégie projective, qui devait aller bien plus loin que l’incontournable rassemblement à gauche, plus loin qu’une « perspective à gauche », mais qui devrait s’inscrire, en long terme, dans la mise en cause du système capitaliste. C’est cela la faute impardonnable du PC. Aujourd’hui on se gausse de sa prétention à retrouver un semblant d’hégémonie par le biais de simplifications politiciennes : Roussel le sauveur, la soi-disant liste d’un nouveau rassemblement à gauche. Tout cela n’a rien d’anecdotique. C’est le passager obligé d’une stratégie grotesque.
    C’est parfaitement cohérent avec le choix (mais peut-être qu’il n’y pas eu choix mais un suivi « naturel » de la pente politicienne).
    Pour ma part, je vais pouvoir échapper au vote des 8 et 10 mars. Mon statut récent d’ex aura au moins cet avantage.

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