Le livre des deux Bernard est magistral. Je n’avais lu de Bernard Friot que : Émanciper le travail (2014), Réussir le communisme (date?), Vaincre Macron, 2017, En travail : conversation sur le communisme (avec Frédéric Lordon) 2021. J’avais surtout retenu sa conception du « salaire à la personne ou à la qualification personnelle ». Cette conception il l’a souvent appelé « salaire à vie », désignation équivoque, dont certains économistes, en particulier ceux du PCF, ont profité pour la caricaturer. Récemment, Frédéric Lordon, convaincu de la pertinence des travaux de Friot, lui avait suggéré de ne pas retenir cette terminologie (cf Figures du communisme, 2021) et la remplacer par « salaire communiste ». Cette objection semble avoir été retenue par Bernard Friot, comme en témoigne son dernier livre. L’énorme intérêt de ce choix, c’est qu’ainsi, il établit un lien robuste avec le puissant concept heuristique du « déjà-là communiste « (ou de communisme » qui fonde l’originalité théorique et pratique de ses travaux**. Dans un premier temps, il a établi la portée révolutionnaire de deux « conquis » qui ont été inscrits dans la loi sous l’égide de ministres communistes : Ambroise Croizat pour le régime général de Sécurité sociale (1946), et Maurice Thorez pour le statut de la Fonction publique (1947). Dans un deuxième temps, il a montré que ces deux considérables « déjà-la communistes » de dimensions macro-économiques, n’excluaient pas l’importance, du point de vue de la visée communiste, d’autres « déjà-là » de dimensions micro-économiques
Le livre des deux Bernard dessine une révolution anthropologique fondée sur l’émancipation communiste. C’est loin de n’être qu’un débat théorique. Dans la dernière partie, les auteurs en montrent les enjeux politiques immédiats. Ils posent la question : « d’où vient l’aveuglement sur les déjà-là communistes qui empêche les organisations de travailleurs de sortir de la défensive (et donc de la défaite) » en promouvant leur généralisation ? » Autant dire qu’ils ne sont pas tendres tout au long des trois paragraphes dans lesquels ils lui apportent réponse. Ils se déclinent ainsi : Interroger la force des croyances accompagnant l’inversion capitaliste du travail, (p. 132-140), Interroger une culture militante centrée sur le préalable du socialisme d’État (p. 141-152), Interroger la pertinence à l’adhésion à la compétition électorale droite-gauche (152.-156).
Leur livre s’achève sur l’appel à procéder à une série de « déplacements : des mobilisations collectives, de l’objet des mobilisations, du rapport à : l’État, à l’entreprise, à la propriété, à la Nation. C’est cet appel qui donne tout son sens à leur livre et qui me fait le considérer comme un nouveau Manifeste communiste.
*Manifeste communiste : J’utilise l’intitulé « Manifeste communiste », plutôt que « Manifeste du parti communiste » pour me départir de la confusion que Lucien Sève a expliqué dans son livre Le communisme ? (tome IV de Penser avec Marx aujourd’hui) (page 275) : « le plus lourd contresens que l’on puisse commettre sur le manifeste du parti communiste et qui fut pourtant longuement rituel dans le mouvement communiste international du siècle dernier, c’est d’écrire ce titre avec un P majuscule au mot Parti, comme si ce texte fameux était en quelque sorte la notice générale des formations s’intitulant au sens contemporain du mot, alors que ce sens organisationnel n’apparaît avec la chose même qu’au cours des années 1860. Dans le titre du Manifeste, parti n’est pas le nom propre d’une organisation précise, mais la désignation générale d’un courant d’opinion d’un camp politique affronté à d’autres ».
** Je renvoie, un fois de plus, aux écrits de Lucien Sève (seconde partie de son tome IV) qui a montré (pages 105 à 115) la porté anthropologique des conceptions de Bernard Friot.
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