Par Fanny Gaillanne (Enseignante en éducation prioritaire – Paris 19e) et Pascal Troadec (Adjoint au Maire de Grigny en charge de la Culture et de l’Emploi)
Il ne s’agit pas d’un simple slogan. Les mots sont choisis. La violence induite par un choc est bien réelle et elle s’abat sur le service public de l’éducation. Une violence qui trouve son paroxysme dans le tri social au collège que cette nouvelle loi entend imposer. Un tri qui essentialise les élèves : dans la classe, ils seront soit des « bons », soit des « mauvais ». En effet, en les mettant dans des classes de niveau en français et mathématiques, on ne fera pas seulement que les stigmatiser, on entravera également le cadre culturel et les interactions sociales diverses qui rendent possibles le processus de développement et les apprentissages, comme le défendait le psychologue Lev Vygotski.
La réforme impose donc une vision cynique et extrêmement restrictive des intelligences de chacune et chacun. C’est un retour à un collège à deux vitesses dans un système éducatif qui est encore profondément marqué par l’élitisme. C’est en réalité un véritable projet de société qui est au cœur de cette réforme. Celui d’une société scindée en deux. Et, afin que les générations futures intègrent le plus tôt et le plus profondément possible cette ségrégation, elles éprouveront cette politique de classe dès l’âge de 12 ans.
Le choc des savoirs ne concerne pas que le collège et les groupes de niveaux, elle s’accompagne aussi d’une mise au pas du corps enseignant. Cette réforme prévoit en effet la labellisation des manuels scolaires par le ministère, comme ce fût le cas sous Vichy, imposant « des manuels labellisés, obligatoires en mathématiques et en français dans le 1er degré. » Une mesure qui concernera également les manuels de lecture pour les CP et CE1. La liberté pédagogique est bafouée.
Évoquons également les évaluations nationales. Elles ont fleuri ces dernières années et concernent aujourd’hui les CP, CE1 et CM1. À partir de la rentrée 2024, tous les niveaux de l’élémentaire seront concernés par ces évaluations qui permettront, une fois de plus, de classer : les élèves, les enseignant·es, les classes, les écoles…
Cette réforme n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Elle vient approfondir la logique discriminatoire que sept années de pouvoir macroniste ont amplement mise en place sous la houlette des quatre ministres qui se sont succédé depuis 2019.
Ainsi, Jean-Michel Blanquer a voulu « réformer » l’apprentissage du français avec une méthode se limitant au seul déchiffrement des mots sans compréhension lexicale. Quatre années plus tard, les premières évaluations sont dramatiquement édifiantes.
Pap N’Diaye, a ensuite acté la réforme des lycées professionnels, une réforme qui fort heureusement n’est pas encore mise en œuvre, mais continue de planer telle une épée de Damoclès au-dessus des têtes. Celle-ci vise en effet purement et simplement à réduire la place de l’enseignement professionnel au profit de l’apprentissage. Ce qui reviendrait à sous-traiter au monde de l’entreprise (donc au patronat), le soin de former les futurs salariés, et à supprimer de fait toute passerelle avec le cursus général.
Gabriel Attal a, quant à lui, largement communiqué sur son projet repris par Nicole Belloubet, d’expérimentation de l’uniforme et d’instauration de classes par niveaux, avantageant les seuls élèves en réussite scolaire, et handicapant encore plus celles et ceux qui rencontraient déjà des difficultés.
Et, cerise sur le gâteau, Nicole Belloubet, outre la reprise des « mesures Attal », s’est elle-même essayée au jeu de la mesure « buzz » avec la création de sa « force mobile scolaire » unité nationale qui sera envoyée dans les établissements scolaires en cas de « difficultés », visant une fois encore, une communauté bien spécifique d’élèves. La concentration de ces réformes discriminatoires, ces dernières années, est particulièrement édifiante.
On est en droit de s’interroger. Ces « génies » de l’enseignement ont-ils fait quelque bilan de ces réformes ? Bien sûr que non. Ils préfèrent recourir aux classements internationaux et alimenter le récit d’une Éducation nationale inefficace et coûteuse. À aucun moment ces néolibéraux ne lient l’augmentation des inégalités aux difficultés scolaires rencontrées. On préfère engager la responsabilité de professeur·es qui renonceraient à enseigner les sacro-saints fondamentaux (entendre ici français et mathématiques).
On ne veut en aucun cas regarder en face les difficultés de vie que subissent les enfants, celles de leurs familles, fragilisées, se démenant pour trouver un emploi, pour le conserver, sécuriser leurs familles, obtenir des papiers ou un logement plus grand parce que « quand même, vivre à six dans 25m2, c’est compliqué… ».
Surtout, ne pas voir ces enfants qui ont besoin d’aide, qui ont besoin de soins, besoin d’un service d’aide sociale à l’enfance qui fonctionne correctement, d’accompagnements, d’une justice des mineurs désengorgés, d’assistant·es sociaux, de médecins scolaires, de remplaçant·es dans les classes, d’AESH… Iels ont besoin de locaux salubres, d’une offre périscolaire de qualité équitablement répartie sur le territoire avec des personnels déprécarisés.
Alors oui, les compétences sont croisées dans ces besoins : la commune, le département l’État avec les ministères de l’éducation nationale, de la justice et de la santé. L’éducation nationale est au carrefour de l’abandon progressif des services publics par l’État. Quel que soit le niveau de décentralisation, il y a des manques, des démissions qui ont des conséquences désastreuses sur des générations d’enfants.
Aujourd’hui, beaucoup d’enseignant·es font le choix de la résistance pédagogique, le choix de démontrer que l’école publique peut être un lieu de coopération et pas seulement de compétition. Demain, les mêmes refuseront de donner les informations réclamées pour établir les classes de niveau en sixième et continueront à militer pour une pédagogie de l’émancipation, à semer des graines pour une société plus juste. Une résistance salutaire, indispensable, mais qui ne sera pas suffisante.
Le choc opéré par cette réforme est un choc de société qui va au-delà de l’école. Il s’agit pour le gouvernement d’assumer une politique de classes. L’heure est à une mobilisation générale contre une réforme qui concerne toutes et tous : parents, défenseur·seuses du service public, enseignant·es de maternelle, élémentaire, collège, lycée et universitaires.
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