Contribution de Roger Hillel.
Le PCF et sa revue « Progressistes » ont présenté un document intitulé « Empreinte 2050, plan climat pour la France ». L’importance quantitative et qualitative de ce texte de 120 pages mériterait une analyse soutenue qui dépasserait largement les limites d’une publication journalistique. Je me contenterai donc de quelques réflexions. Pour l’examiner, je distinguerai deux niveaux : la démarche et la méthodologie.
La démarche
« Le plan climat pour la France, Empreinte 2050, vise la neutralité carbone à l’horizon 2050 car, selon les modélisations du GIEC, c’est indispensable pour rester sous les 1,5°C ». Voici ce qu’il est écrit dès les premières lignes du paragraphe A1 du document : La démarche du Plan climat pour la France, Empreinte 2050. Ce point central appelle deux remarques :
1- Selon les simulations du GIEC, ce scénario 1,5 est le moins probable des cinq scénarios auxquels conduisent les simulations du GIEC et qui donnent des chiffres de réchauffement bien supérieurs. Cette donnée aurait méritée d’être signalée dès l’introduction. Étonnamment, elle ne se trouve évoquée que beaucoup plus loin, dans la partie E du document : « Une démarche pour le présent et l’avenir », dans le paragraphe E3 intitulé : « L’adaptation au changement climatique : se préparer à l’éventualité d’une France à 4 degrés de réchauffement. »
2- La rédaction de l’introduction pourrait laisser entendre que si la France réussissait à atteindre la neutralité carbone, son réchauffement ne dépasserait pas les 1,5. Fallait-il le préciser, tant cela est évident ? Pas tant que ça, puisque les rédacteurs ont cru utile de faire une mise au point en E7 : « Le Plan climat pour la France, Empreinte 2050, vise à faire entrer la France dans une trajectoire climatique compatible avec un réchauffement globale limité qui respecte les accords de Paris, très en dessous de 2 °C. Cela suppose pour qu’il en soit ainsi que l’ensemble des pays, avec des efforts différenciés, agissent également à leur niveau… »
Ces deux exemples me portent à croire que le document a été établi à la hâte, à partir de contributions d’auteurs différents, qui n’ont pas été refondues pour en faciliter la lecture. Il reste que, même en l’état, ce plan climat a une valeur exemplaire, car son objectif est fondé sur le paradigme de la diminution drastique des émissions de GES (Gaz à effet de serre, dont le principal est le CO2). Pour autant, autre chose est d’atteindre, comme le prévoit le plan, la neutralité carbone à l’horizon 2050. C’est un objectif qui appelle des mesures massives et considérables que le système économique actuel serait bien en peine de mettre en œuvre. Le document semble répondre à cette objection : « Ce plan s’inscrit dans une autre logique économique à rebours des politiques actuelles au service du capitalisme ». Mais cette autre logique n’implique-t-elle pas le dépassement du capitalisme ? Il n’en est rien dit, mais pourquoi pas. Cela fait penser au concept d’un « déjà-la communiste » au sein d’une société encore capitaliste. Sauf que le plan énumère ce qu’il faudrait radicalement changer : « place des services publics, critères de financement, effort dans la formation et la recherche, développement de l’emploi. » Il n’y a pas de points de suspension. La liste semble donc établie, dans laquelle ne sont évoqués ni les limites à imposer aux pouvoirs discrétionnaires du patronat, ni les pouvoirs dont devraient disposer les salarié·es pour changer une partie (laquelle ?) de la logique économique capitaliste. Sans cette condition, est-il crédible d’avancer la possibilité d’inscrire le plan dans « une autre logique économique »?
La méthodologie
Les termes, entre autres, de « modèle numérique » et « simulations » que l’on rencontre dans la partie A du document appartiennent à une terminologie qui donne à penser que le texte s’apparente à une publication scientifique. La règle voudrait alors qu’apparaissent les noms et qualités des auteurs.
Or, seul le nom de Victor Leny est indiqué, sans que soient précisés sa spécialité et, éventuellement, l’organisme auquel il est rattaché. Les autres auteurs, sans être nommés, sont : « la commission nationale Écologie du PCF, des membres de la direction nationale et des militants issus de professions scientifiques ».
Lorsqu’on use d’une méthodologie fondée sur un modèle numérique, il est indispensable de préciser la conception générale de ce modèle, pas sa structure mathématique, compréhensible seulement pas des spécialistes. Le modèle numérique se présente sous la forme d’un programme dans lequel on entre les valeurs initiales des données, sur la base desquelles sont faits des calculs et dont il en sort des résultats. On peut renouveler ces calculs en modifiant les valeurs des données. C’est le principe de la simulation. Dans le cas présent, quelles sont les données ? Leurs valeurs ? Pour quels résultats ?
Je crois comprendre que le principe du modèle est de parvenir à un bilan nul des émissions et des captures de GES. Ce qui correspond à la neutralité carbone. Tous les secteurs émissifs sont passés en revue : production d’électricité, transports, logements, industrie et agriculture, de même que les secteurs capables de capturer les GES. Ce sont les « puits de carbone », essentiellement constitués, selon le document, par les sols et les forêts. J’imagine que les valeurs des données, pour les émissions et les captures, qui sont entrées dans le modèle sont celles de 2022. J’imagine encore, qu’elles sont modifiées jusqu’à ce que le bilan carbone devienne nul. Les valeurs qui conduisent à ce résultat seraient donc celles retenues à l’horizon 2050, date à laquelle, selon l’objectif du plan climat du PCF, la neutralité carbone doit être atteinte. C’est ce que doivent vouloir dire les auteurs du plan, lorsqu’ils écrivent que « La simulation permet de garantir la cohérence entre les mesures du plan ».
Reste, si je puis dire, à proposer les mesures à déployer dans chaque secteur pour réaliser l’objectif du plan climat.
Je ne me prononcerai pas ici sur la nature de ces mesures. Il faudrait procéder à un examen long et détaillé qui dépasserait largement les limites de cet article. Un examen qui se voudrait d’autant plus poussé que, vu le haut niveau de technicité de ces mesures, il est évident qu’elles ont été élaborées par des spécialistes, scientifiques,technologues et économistes. J’ai déjà dit qu’ils n’ont pas été nommés. Mais, on peut en savoir plus en consultant la page Facebook de la revue Progressistes. A la date du 20 novembre, figure une photo montrant trois personnes exhibant le document plan climat du PCF avec la légende « A la journée d’étude du Shift Project, la fine équipe de la revue Progressistes et son plan climat #Empreinte2050 bien représentés ! Avec Fanny Chartier et Alec Desborde au coté de Mathieu Auzaneau, Directeur du ShiftProject et auteur du best seller “Or noir” ! »
Schift project est un think tank dont le président est Jean-Marc Jancovici. Pour s’en faire une idée plus précise, il suffit de consulter son site: https://theshiftproject.org/. Il y est précisé que cette association loi de 1901 « œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone », « s’adresse spécifiquement aux dirigeants et dirigeantes d’entreprises convaincus qu’il est urgent de passer à l’action » et « est soutenu par plusieurs grandes entreprises françaises et européennes, ainsi que par des organismes publics, des associations d’entreprises et depuis 2020 par des PME et des particuliers. » Autant dire que ce think tank n’est pas anticapitaliste. Et pourtant, tout indique que ce sont ses travaux qui ont inspiré le plan climat du PCF. J’ai parcouru plusieurs des notes d’analyse et rapports de Schift Project, plus particulièrement, l’épais rapport daté d’octobre 2021 : Habiter dans une société bas carbone. L’économie générale de ce rapport est celle adoptée par le plan climat du PCF. Cela va jusqu’à des copiés-collés.
Il faudrait examiner de plus près, ce que je n’ai pas fait, les nombreuses notes d’analyse portant sur l’agriculture, l’électricité nucléaire, les transports, l’industrie, pour vérifier comment elles se traduisent dans le plan climat du PCF.
Pourquoi ce dernier et sa revue Progressistes n’ont pas fait état de leur collaboration avec Shift Project ? La question leur est posée.
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