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L’anti racisme, le combat contre l’extrême droite et le PCF


73 % des électeurs de gauche pensent que le racisme systémique est une réalité aujourd’hui en France. (baromètre de l’opinion de gauche réalisé par l’Humanité avec l’IFOP septembre 2024). La question sondée précisait qu’il s’agissait du racisme intégré et normalisé au sein des institutions et des pratiques de la société.

C’est pourtant à cause de l’utilisation du terme racisme systémique, que le PCF, après la mort de Nahel, a refusé de signer, en 2023, un appel unitaire à manifester. Au comité national du PCF du 9 septembre 2023, le rapporteur considérait que ce terme sous tendait qu’il y avait un racisme d’Etat (…) que l’extrême droite menaçait… cela signifiait qu’elle ne représentait pas de danger réel puisque le racisme d’État était déjà là (…) ».

Au-delà du fait que le terme « racisme d’Etat » n’a jamais signifié « Etat raciste », le PCF doit ouvrir le débat sur le racisme, sa traduction contemporaine, ses définitions, sur l’usage des termes du débat propre à la recherche et au milieu militant nécessaires pour comprendre un système d’exploitation ou de domination, pour l’intégrer dans notre réflexion antiraciste et contre l’extrême droite.

Le racisme a muté. Dans sa première acception, le racisme relevait d’une idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races » puis d’une attitude d’hostilité systématique à l’égard d’une catégorie de personnes.

Depuis, la chute du nazisme et le rôle des nations unies, depuis leur création, le racisme est largement condamné dans les institutions, moralement réprouvé et publiquement inavouable.

La condamnation sans appel du racisme biologique n’a pas, pour autant, fait disparaitre le racisme qui produit des « races imaginaires » puissantes : un prénom, une couleur de peau, une origine vraie ou supposée, une religion vraie ou supposée fonctionnent comme des marqueurs « raciaux » sources de discriminations et de comportements racistes.

Sans compter que les discours politico-médiatiques établissent souvent un lien de cause à effet entre des actes de violence et de délinquance et, non pas la condition sociale, mais l’origine ou l’identité des mis en cause.

Or, c’est après la disqualification de l’idéologie raciste que le concept de « racisme systémique » a vu le jour. En effet le racisme a précédé les idéologies biologiques et il leur survit.

Nier le racisme systémique, c’est refuser d’analyser le racisme dans toutes ses dimensions :

  • la 1ère est directement liée au système capitaliste qui considère le travail humain comme une variable d’ajustement ; de plus, l’immigration a été longtemps organisée par l’Etat français, sur la base d’une classification des peuples en fonction de leur supposée capacité à s’assimiler.
  • la 2ème c’est le « supplément intérieur » du nationalisme pour assurer le ciment nécessaire à la préservation de l’unité nationale et à la protection contre ses ennemis de l’extérieur mais surtout de l’intérieur.
  • la 3ème c’est la diversité des groupes humains à l’échelle de la planète que le colonialisme a hiérarchisée, en conduisant à penser que des civilisations étaient inférieures, voire incompatibles, et cela en méprisant les normes culturelles non occidentales.
  • la 4ème c’est que certains racismes ont des origines encore plus anciennes, comme l’antisémitisme, l’hostilité envers les musulmans ou le rejet des roms et des populations nomades.

Ces dimensions structurent notre inconscient culturel : le racisme n’est pas seulement une réaction individuelle de rejet ou l’expression d’une idéologie haineuse, il est aussi et surtout un rapport social de domination basé sur la hiérarchisation des groupes humains et qui, comme le sexisme, s’entremêle et s’articule avec les rapports de domination de classe.

Le racisme systémique est une notion qui décrit une forme de racisme ancré dans les relations sociales, l’organisation institutionnelle qui génère et entretient des discriminations sans qu’elles relèvent forcément d’une démarche intentionnelle : accès à l’emploi ou au logement, contrôles au faciès, orientation scolaire, écarts de revenus, syndrome méditerranéen ou nord-africain, ségrégation résidentielle, …

La hiérarchie ethnique sert l’intérêt du capitalisme, elle permet de maintenir des divisions au sein de la classe ouvrière (https://nvo.fr/racisme-au-travail-lurgence-dagir/)

D’ailleurs, le parallèle pourrait être fait avec les discriminations sexistes qui se reproduisent malgré une volonté politique de promouvoir l‘égalité hommes-femmes !

Le fait que ce racisme structurel ne renvoie pas forcément à une idéologie ni à une pensée raciste assumée, heurte notre façon de penser, suscite des incompréhensions, des confrontations entre l’idée que le racisme serait structuré seulement par une pensée de haine et (ou) de rejet individuel et le fait que cette 1ère approche du racisme dans sa dimension intentionnelle ne prend pas en compte ses formes systémiques, structurelles, institutionnelles et donc exonère la société, les entreprises, les pouvoirs publics de leur responsabilité collective.

Ces 2 visions, au lieu de s’affronter, devraient être vues comme complémentaires d’autant que des syndicats, des institutions valident, de plus en plus, le terme de racisme ou discrimination systémique :

En 2019, une institution comme le Défenseur des droits, financé par l’Etat, se réjouissait de la décision du Conseil des prud’hommes de Paris du 17 décembre 2019, n° RG F 17/10051) qui condamnait l’employeur et reconnaissait le concept de discrimination raciale systémique… : ce concept permet d’appréhender la discrimination de manière intersectionnelle au-delà de la somme des situations individuelles. Se révèlent ainsi les raisons pour lesquelles un groupe d’individus peut être particulièrement défavorisé par rapport à un autre, sur la base d’inégalités sociales fondées sur des stéréotypes récurrents et des rapports de domination.

Le 20 juin 2020, sur le site de la CGT, on pouvait lire : « Discriminations et origines : l’urgence d’agir », le défenseur des droits lève le voile sur l’ampleur des discriminations subies par les personnes issues de l’immigration. Il fait état d’un racisme systémique. Ce rapport paraît dans un contexte de mobilisation mondiale contre le racisme et les violences policière. (le défenseur des droits était à ce moment-là Jacques Toubon, ancien ministre de droite)

Dans l’Humanité du 20 juillet 2023, Agnès Naudin, capitaine de police et porte-parole de la FSU Intérieur, n’hésite pas à dénoncer le caractère systémique du racisme dans la police et appelle à de profondes réformes, à un changement de paradigme.

Par exemple, une étude sur les pratiques discriminatoires réalisée en 2017 par le Défenseur des droits de l’époque concluait qu’un jeune perçu comme noir ou arabe avait 20 fois plus de chances d’être contrôlé par la police.

A ce propos, le défenseur des droits de l’époque, Jacques TOUBON, ancien ministre de la justice, sous le Gouvernement Juppé, avait déclaré, dans Libération du 29 septembre 2023 :

« En 2016, on a présenté l’étude réalisée à la Direction générale de la police nationale.

Le ministère de l’Intérieur a nié la réalité de ce qui était démontré par l’enquête avec toujours le même argument qu’il peut exister quelques cas de contrôles discriminatoires mais qui ne sont pas représentatifs. Or la réalité est bien un système de contrôle d’identité discriminatoire et, face à un système, il faut répondre de manière systémique et non au cas par cas.

Le ministère de l’Intérieur et la police n’acceptent pas et n’accepteront probablement jamais, sauf décision de justice, que ces contrôles ne sont pas conformes à la loi. »

Ces exemples démontrent que le terme « racisme systémique » ne signifie pas que la société est raciste ou que l’Etat adhère à une idéologie raciste ; à travers ce concept contesté, l’enjeu est de reconnaître les pratiques discriminatoires mais aussi la question du racisme inconscient, du racisme non assumé.

L’extrême droite, dans les années 70, a engagé un travail théorique pour relégitimer le racisme en changeant de vocabulaire : désormais on ne parle plus de race mais d’identité, on ne parle plus d’inégalités de races mais de hiérarchie des cultures ou de leur incompatibilité avec le mode de vie français, ce qui permet de produire de l’exclusion sans la fonder sur des bases « raciales biologiquement parlant ».

La même logique a prévalu avec l’instrumentalisation de la laïcité. Le racisme pourra se développer y compris au nom de la république sans se déclarer raciste. Cela ne choquera plus personne que soit affirmé l’islam, religion non compatible avec la république, au nom d’un ordre autoritaire et inégalitaire, par ceux qui étaient hostiles hier aux principes républicains.

Dans ces temps de fortes confrontations idéologiques où toutes les questions liées au racisme et à l’anti racisme sont instrumentalisées, où la pensée confusionniste brouille les repères, il est important d’engager la contre-offensive contre l’extrême droite qui joue sur le ressenti, l’émotion, les peurs et la communication symbolique tout en faisant porter la responsabilité du racisme à celles et ceux qui le subissent.

Nous devons redéfinir comment le parti communiste se saisit de ces analyses, pour mieux combattre l’inégalité et l’atteinte à la dignité qu’est le racisme et pour le rôle structurant qu’il joue dans le vote en faveur du RN.

De ce renouvellement d’analyse, notre combat contre l’extrême droite doit s’accompagner d’un discours alternatif qui doit, à la fois, répondre à l’urgence sociale environnementale et démocratique tout en portant une vision sociétale incluant un récit commun unifié redonnant du sens à nos existences et nos aspirations, incluant nos histoires plurielles et les souffrances mémorielles, s’engageant dans la décolonisation de nos imaginaires et la déconstruction des mécanismes racistes.

Il est nécessaire de dénoncer et diaboliser à nouveau le racisme dont l’expression est totalement légitimée par l’expression politico-médiatique. On peut citer l’exemple du grand remplacement, théorie raciste, qui a fait l’objet d’une formidable banalisation médiatique.

La loi condamne le racisme dans sa forme haineuse, injurieuse et discriminatoire : nous devons nous battre pour que les plaintes soient à la hauteur de l’expérience vécue par les premiers concernés car la sous-déclaration massive de ces actes est pointée par la CNCDH qui les évalue à 1 000 000, chaque année. Cette sous déclaration entretient un sentiment d’impunité qui lèse les victimes et porte atteinte à la cohésion sociale.

Mais nous devons aller bien au-delà car l’expression du racisme et sa grille de lecture ont imprimé l’opinion bien au-delà de sa forme haineuse, discriminante et injurieuse : on parle désormais de racisme ou d’islamophobie d’atmosphère.

La question de fond est bien de faire reculer un système de pensée, une grille d’analyse.

Nous combattons les idées et non les hommes. Il ne s’agit pas de moraliser les auteurs de comportements ou paroles racistes mais nous devons pouvoir dire sans condescendance que ce qui est en cause c’est l’acte de catégorisation, d’essentialisation et de hiérarchisation des êtres humains et ses conséquences. Menons ce combat en y intégrant aussi la partie inconsciente non intentionnelle 4 du racisme.

Engageons un vaste travail d’éducation populaire dans la durée pour passer du citoyen « pas raciste » mais passif à un citoyen «anti raciste » actif !

Redonnons une lecture sociale des problématiques, du traitement de l’actualité, en s’appuyant sur des réalités sur des chiffres en travaillant à la déconstruction des mécanismes de catégorisation. Il n’y pas de causalités qui seraient imputables à la nature des êtres humains mais des causes sociales, structurelles, collectives inhérentes aux logiques sociétales.

Réaffirmons la déclaration universelle des droits de l’homme qui consacre l’égalité entre tous les êtres humains de la planète.

Cessons de clamer comme un concept creux la défense de la république au profit d’une exigence, celle de « faire de l’égalité une réalité » : l’égalité de traitement, l’égalité réelle, l’égalité en dignité, l’égalité en respect, cette égalité qui répare toutes les inégalités sociales et donc les inégalités racistes et sexistes.

Recréons du commun avec des citoyens qui endossent rarement le qualificatif de raciste, recréer de l’unité de classe en portant des propositions qui parlent à toutes et à tous, quelle que soit notre position sociale et notre lieu de résidence que l’on vive à la campagne, à la ville, en habitat individuel et collectif, que l’on travaille, que l’on soit au chômage, étudiant ou retraité.

Les électeurs de gauche attendent du PCF un positionnement plus réactif et visible dans le débat public, ils veulent qu’on pointe la responsabilité des discours politiques qui stigmatisent, infériorisent, excluent et détournent de la question sociale, ils ne veulent pas rentrer dans l’affrontement identitaire, les polémiques et les instrumentalisations, ils veulent au contraire qu’on les dénonce.

Soyons convaincus que toute concession à la matrice idéologique de l’extrême droite ne permet pas de récupérer leurs électeurs : au contraire, elle les conforte dans leur vote. Créer des polémiques qui l’alimentent c’est contribuer aussi à la normalisation des discours racistes. Cela nécessite que nous réinterrogions notre discours public afin que nous ne perdions pas dans le confusionnisme des mots et des idées.

Nous ne sortirons pas de l’ornière sans travailler la question des représentations, de nos imaginaires : Quel nouveau récit émancipateur qui parle à tous et qui reconstruise de l’unité et de la solidarité de classe ? Quel imaginaire de la transformation sociale qui ne soit pas structuré par la culture ou la religion tout en sachant que la classe n’est pas une chose abstraite sans couleur, sans sexe, sans âge, sans territoire, sans histoire, sans imaginaire qui donne à voir celles et ceux que nous voulons rassembler dans leur diversité ?

C’est une bataille que nous devrons mener dans la durée car le mal s’est aggravé en 20 ans.

Nous faisons l’expérience des limites du Front Républicain et de la logique d’être dans le contre qui peut nous faire apparaitre comme des conservateurs ne voulant rien changer.

L’urgence est de porter une alternative solidaire, démocratique et écologique majoritaire car il est minuit moins trois !

Pour conclure, nous modifierons le rapport forces en faveur des forces de la transformation sociale si nous livrons la bataille culturelle. Si la domination culturelle est une domination consentie, et donc un consentement aux représentations et valeurs dominantes, le PCF doit engager, en son sein, un vaste travail idéologique de reconquête de l’hégémonie culturelle pour construire une perspective d’émancipation.

Fabienne HALOUI
Section d’ORANGE-VAISON
Fédération de Vaucluse du PCF

Débattons-en !