Roger Hillel novembre 2024
Pour penser la visée communiste, je suis persuadé qu’il faut partir de la question hautement théorique du dépérissement de l’État. J’ai fait appel à Lucien Sève qui y consacre de nombreuses pages dans son livre « Le communisme ». Il décrypte les débats qui ont agité les théoricien.e.s révolutionnaires avant la révolution bolchevique de 1917 et pendant les années immédiates qui la suivirent. Une partie de ces débats me dépassent, mais j’en retiens une des conclusions essentielles : la visée communiste implique un processus de luttes de classe, non programmable à l’avance, ni dans ses phases (surtout pas étapes!), ni dans leur durée. Ce processus historique qui commence ici et maintenant, ne s’achèvera qu’avec le dépérissement de l’Etat
Vers un État sans État
Ce processus commence par :
1- la déconstruction du pouvoir capitaliste, jusqu’à son abolissement, avec, simultanément, son remplacement par le pouvoir des classes dominées par la classe dominante. Cette dernière est constituée de plusieurs agents. En premier lieu, les agents économiques : propriétaires capitalistes, financiers, actionnaires. Ces agents économiques n’auraient pas d’efficience sans le support des agents politiques, idéologiques, intellectuels et médiatiques.
Ce processus se poursuit par :
2-la construction d’une société sans classes. Par conséquent une société pour laquelle un pouvoir d’État deviendrait obsolète, « superflu » écrit Marx. Sève parle d’un « État sans État . Je vois cette société comme un objectif dont on ne sait s’il pourra être atteint, mais vers lequel tout le processus doit tendre (est-ce cela l’utopie réaliste?)
Un processus qui commence ici et maintenant
Invoquer le dépérissement de l’Etat laisse entendre, théoriquement et pratiquement, que le pouvoir étatique (économique, politique, idéologique, culturel) est intrinsèquement, ontologiquement négatif, et ce, quel que soit le type de société. Evidemment, s’agissant de la société capitaliste, ce pouvoir est totalement néfaste, mais dans une société visant au communisme, il doit être contenu et limité le plus possible, dans la perspective de son dépérissement.
Les luttes de classes visant au dépassement du capitalisme doivent répondre à des normes qui ne contreviennent pas à l’objectif du dépérissement de l’Etat. On ne peut pas lutter contre toutes les formes de domination, capitalistes et post capitalistes, en ignorant que ces normes doivent avoir une dimension éthique. En particulier, les méthodes de lutte pour conquérir les pouvoirs institutionnels, a fortiori le pouvoir d’État, devraient associer toutes les forces de gauche, (partis, mouvements, syndicats, associations), aussi bien celles réformistes que celles de transformation sociale. Ce rassemblement doit bannir l’esprit d’hégémonie, cultiver la complémentarité, et accepter désaccords et conflits. Il sera d’autant plus conflictuel qu’il associera des forces contradictoires. Il reviendra aux citoyen.ne.s de décider de la pertinence de telle ou telle proposition, d’où la nécessité d’adopter la méthode qui le permettra. Ces exigences posent la question de l’articulation entre les luttes dans les urnes et celles dans la rue.
Sur le rôle institutionnel de l’État
Il faut se creuser pour trouver les formes de gouvernabilité limitant le plus possible la délégation de pouvoir, assurant le rôle décisionnel plein et entier des citoyennes et citoyens. Pour le court terme, une 6e république s’impose, mais on sera encore très loin du compte.
Des questions difficiles se bousculent.
Comment va s’exercer la souveraineté populaire ?
Comment concevoir une administration qui ne soit pas gangrenée par la bureaucratie. Une administration qui ne soit pas au service des institutions, dont l’Etat, mais au service des usagers ?
Comment penser les fonctions régaliennes de l’Etat : armée, police, justice. Ces fonctions sont par nature répressives. La classe dominante les utilisent pour soumettre les classes dominées. Lorsque ces dernières lui auront arraché le pouvoir, comment s’exerceront les fonctions régaliennes du nouvel Etat ?
Sur le rôle économique et social de l’État
Il faut revisiter les questions de l’appropriation sociale (collective?) des moyens de production et d’échange.Revoir l’approche de leur nationalisation conçue comme propriété de l’Etat. Réinterroger la question de la planification..
Il faut favoriser, conforter, développer toutes les formes desquelles l’Etat est absent.
Ce qui me paraît assez simple à concevoir, c’est de commencer par valoriser des formes existantes : dans l’économie sociale et solidaire. Dans le domaine agricole (production et distribution) : coopératives, AMAP, ZAD, Mais, toutes ces initiatives, et celles qui viendront, ne permettront de répondre qu’à certains besoins (les quels ?)
Plus le niveau de production et d’échange se complexifie, et exige des moyens matériels et humains importants, plus la question du rôle de l’Etat devient difficile à concevoir dans la perspective de son dépérissement. Je pense aux secteurs de l’énergie, des matières premières, des produits pharmaceutiques, métallurgiques… Quels sont les secteurs qui ne peuvent, du moins dans un premier temps, échapper à la responsabilité étatique ? Quelles conditions doivent être requises pour limiter autant que possible les risques d’étatisme et de bureaucratie ? Comment va s’exercer le pouvoir des travailleuses et travailleurs sur les moyens, l’objet et le résultat du travail ?
Dans le domaine social, il y a la considérable question des services publics. Elle est d’actualité ne serait-ce qu’avec la proposition de loi constitutionnelle sur la Charte des services publics déposée le 3 octobre dernier par le groupe communiste du Sénat. Il y est formulé que « Que l’État, expression et garant de l’intérêt général, est historiquement en charge des fonctions collectives pour concrétiser cette volonté d’équité sociale ». Autant il est concevable que cela puisse suffire dans une instance comme le Sénat, autant les limites de cette conception « historique » sont évidentes. Il faudrait avancer des systèmes qui visent à l’autonomie des usagers, les libérant des aléas de la bureaucratie. Je pense tout particulièrement, aux propositions du Réseau salariat qui visent à étendre la sécurité sociale de santé à : l’alimentation, l’énergie, l’eau, le logement, la culture… Ce travail, très peu discuté hors du réseau salariat, contribue, à l’instar des travaux de Bernard Friot sur le salaire à la personne, à donner un contenu concret au concept de biens communs qui devraient être les choses communes, gratuites et accessibles à tou.tes
Il n’y a pas de conclusion à ma contribution si ce n’est qu’un travail considérable attend les forces collectives et exige des efforts de tous les secteurs intellectuels qui veulent en finir avec le capitalisme et construire une société alternative que nous appellerons le communisme.
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