Contributions

Comprendre le vote RN ?

Leïla Cukierman, directrice de théâtre à la retraite, co-fondatrice du Collectif Décoloniser les Arts, adhérente du PCF et de Alternative Communiste

Le désespoir, la peur du déclassement, le sentiment d’abandon, le ressentiment, terreaux fertiles du fascismefournissentune explication nécessaire mais est-elle suffisante pour comprendre une telle montée du voteRN?

En France, comme dans d’autres pays capitalistes dits démocratiques, cette analyse reste insatisfaisante.

Cumulées à l’échec du « socialisme »stalinien, les déceptions successives liées aux gestions « pragmatiques » du capital globalisé et financiarisé par la social-démocratie ont canalisé la colère vers l’extrême droite (soit-disant«du nouveau, jamais essayé »).

Le PCF y a sa part de responsabilité parfois pour ne pas s’être opposé fermement à certaines décisions d’un gouvernement de gauche parfois en les ayant accompagnées, par exemple « l’ouverture du capital d’Air France », (de fait une privatisation) par un ministre communiste.

Nous (le PCF) avons perdu la bataille idéologique tandis que le capitalisme culturel déployé par les industries culturelles, les médias et les réseaux sociaux appartenant aux grands groupes a gagné celle des imaginaires.

Malheureusement notre direction nationale actuelle s’y est fourvoyée au prétexte de la visibilité médiatique, voire s’y est alignée sur des schémas réactionnaires.

Les dispositifs du capitalisme culturel ont induit une illusion de « liberté » individualiste du choix dans les produits de consommation. Ces dispositifs idéologiques ont dissocié la devise de liberté de celles de l’égalité et de la fraternité donc des libertés pour tous.tes.

Entamé depuis des décennies, le détournement des images et des mots a façonné les désirs indépendamment des besoins.

Pour se « dé-diaboliser » le RN s’est emparé de notre vocabulaire, de nos concepts, de nos symboles,vidés de sens,afin d’arriver au pouvoir par la voie démocratique. Il s’est même emparé de notre façon de militer, dans la proximité. Il s’estmensongèrement paré du « social » de la même manière que le national-socialisme de Hitler ou le fascisme de Mussolini, en l’ajustant aux seuls « nationaux de souche ».

Pour se pérenniser, le capitalisme en crise recourt au fascisme plutôt que d’accepter le risque de transformations radicales.

Voilà pour ce qui est d’un constat partagé.

Mais quoi de plus et qu’il est si difficile d’envisager vraiment ?

Quel est ce non-dit dans cette république qui se revendique de la Révolution, des Lumières et des Droits de l’Homme?

Que se cache-t-il en cet Occident qui se pense une « civilisation supérieure » à toute autre ?

De quel universalisme se réclame-t-il ? Celui de la marchandise ou celui des droits de tous les humains ?

Combattre le RN et le vote RN ?

Comprendre n’est pas justifier. Combattre le RN, c’est combattre le racisme et l’antisémitisme et ne pas courir derrière des thématiques douteuses.

Les « fachés », s’ils ne sont pas « fachos » sont à coup sûr racistes et le revendiquent désormais ouvertement.

Les CONSTANTES historiques de l’idéologie du FN/RN, ce sont le sexisme et le racisme dont l’antisémitisme que pourtant il camouffle pour le moment en soutien à l’extrême droite colonialiste et raciste de Nétanyahou alors qu’il reste violent dans ses rangs.

L’ INVARIANT chez ceux qui votent RN aujourd’hui dans toutes les catégories professionnelles, sociales et territoriales, c’est le racisme à l’encontre des personnes identifiées comme minorités ethno-raciales sous le vocable de « immigré.e.s », à savoir les noir.e.s, les maghrébin.e.s, les musulman.e.s, les asiatiques; (enquête auprès des électeurs du sociologue F.Faury).

Cette forme de racisme trouve sa source dans le colonialisme.

La combinaison du nationalisme socialxénophobe offre une vision du monde, un projet démagogique crédible à portée de mains qui se fondent sur un sexisme et un racisme tous deux inscrits en profondeur dans les structurations de notre société,forgés historiquement.

Grâce aux luttes féministes, l’idée fait son chemin que l’infériorisation des femmes correspond à une division du travail, un sexisme systémique qui autorise une violence ancestrale.

Qu’en est-il du racisme spécifiquement lié au colonialisme?

Ne voir dans le racisme qu’une question de morale individuelle et non un système de domination et d’exploitation ne permet pas de le combattre efficacement.

Suffit-il de dire que le racisme, comme expression de la colère, sert à diviser la classe ouvrière, à la détourner du « vrai » combat anticapitaliste ? La théorie du « bouc émissaire » ne suffit pas.

Comment est-il passé si rapidement de l’implicite à l’explicite revendiqué si ce n’est parce qu’il est systémique ?

La suraccumulation primitive du capital s’est déployéeavec la traite négrière,

l’esclavage industriel, les colonisations, les codes de l’indigénat, le travail forcé, dans une déshumanisation violente et sanglante (cf le documentaire de Fanny Glissant sur Arte « Les routes de l’esclavage »).

« …l’esclavage…a influencé…la formation du capital…le changement technologique…les pratiques commerciales et financières… la révolution dans les finances publiques et privées……investissements…crédits…dettes…assurances…Le système de plantation jette les bases de la future organisation capitaliste du travail et de la production… système de comptabilité…séparation de la propriété et de la gestion….Les plantations ressemblent aux grandes usines du siècle suivant… »

In « Slave, Capitalism and the Industrial Révolution de Maxine Berg et Pat Hudson (https:www.mediapart.fr :economie-et-social :140224 :).

La justification de la bestialisation d’êtres humains fut le racisme biologique érigé en système. La domination coloniale persiste dans les Départements d’Outre-Mer et dans les néo-colonies « décolonisées ».

Ce racisme perdure, ancré dans les structures idéologiques dominantes de nos sociétés occidentales. Nous assistons à sa résurgence massive sous la forme d’un racisme culturel.

Ces histoires, nos histoires, notre histoire, tragiques subissent toujours une silenciation ; elles se sont déroulées loin du pays esclavagiste mais, grâce aux profits faramineux dégagés, elles en ont fait une Nation capitaliste riche. Cette occultation des exploitations et dominations coloniales a des conséquences durables. Cela hante notre inconscient culturel, chez les descendants des colonisés comme chez les descendants des colonisateurs de 2 manières qui évidemment s’affrontent :

-1/ Les nouvelles générations toujours discriminées par la violence policière quotidienne meurtrière, les exclusions et humiliations permanentes et des conditions de vie inacceptables ne se taisent plus et se révoltent ; elles ont entrepris le travail de mémoire.

-2/ Elles sont taxées des pires turpitudes par le Printemps Républicain, la droite et l’extrême droite : « wokisme » (qui signifie ?), « identitarisme », « séparatisme anti-républicain et anti-universaliste », « racialisme » (le comble de l’inversion) et même antisémitisme…accusations cautionnées par une large part de la gauche social-démocrate et par la direction actuelle du PCF (confusion Islam et islamisme, confusion des mots communauté et communautarisme, lecture anhistoirique de la laïcité, refus du mot islamophobie et du concept d’intersectionnalité…etc).

Connaître notre histoire, nous connaître et nous nommer nous-mêmes, cela ne fait-il pas partie des droits humains ?

Parce que notre histoire est celle de la rencontre de divers peuples, nous nous situons dans une identité-relation ouverte et fluide (cf Glissant et Chamoiseau) quand le RN historiquement anti-républicain revendique une identité de « souche » à racine unique illusoire.

« QUELLE HUMANITÉ VOULONS-NOUS ÊTRE ? » Lucien Sève pose la question.

Y répondre passe par les chantiers de la culture, de l’éducation populaire et de l’art dans le cadre d’une transformation radicale des services publics.

L’art est la confrontation émotionnelle et sensible de l’intime et du pluriel, l’invention de l’inattendu à partager, le risque poétique du commun dans la rencontre fragile de toutes les singularités. La créolisation conceptualisée par Glissant n’est pas un slogan politique mais elle ouvre aux imprévisibles conjugaisons de toutes les cultures à l’échelle du monde, concept inspiré de l’univers de la plantation esclavagiste où se sont échangés des langues, des savoirs, des musiques, des danses, des imageries…etc.

Y répondre passe par les chantiers décoloniaux.

La décolonisation de nos imaginaires envahis par l’hégémonie de la marchandise et le racisme systémique invite à un autre monde possible, une universalité plurielle et singulière (Etienne Balibar).

Y répondre passe par l’invention de soi-même comme individu et comme peuple, d’un nouvel imaginaire du monde.

Chantiers complexes délaissés par les partis politiques. Le PCF doit s’atteler à cette complexité, il faut en finir avec le simplisme binaire pratiqué par l’idéologie dominante et certains discours de gauche.

Si le PCF veut reconquérir une influence populaire, il est indispensable de commencer par l’écoute et l’accompagnement de tous ceux qui ouvrent ces chantiers et de TOUTES les luttes, sans les hiérarchiser, sans surplomb donneur de leçons car toutes les luttes, écologistes, féministes, antiracistes, culturelles sont aussi des luttes sociales qui peuvent rassembler contre le capitalisme.

Une fonction du communisme n’est-elle pas de mettre en rapport ceux qui luttent contre les oppressions, pour l’abolition des dominations et aliénations et pour l’émancipation ?

Débattons-en !