Véronique Sandoval nous fait parvenir une contribution cherchant à constituer un groupe de travail sur le travail.
Selon la grande enquête menée en mars 2023 par IPSOS à la demande la Fondation Jean Jaurès et de la CFDT, (enquête menée par Internet du 23 au 31 mars 2023 auprès de 8.700 personnes constituant par la méthode des quotas – sexe, âge, profession, région de résidence- un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus), une majorité de français (59%) veulent changer la société, la réformer voir la transformer pour 43% d’entre eux, la changer radicalement pour les autres (16%). Les ouvriers sont encore plus nombreux à vouloir changer la société (62%) et notamment la changer radicalement (25%).
Dans quels domaines attendent-ils des changements de société ? La société n’arrête pas d’évoluer. La question posée est donc « dans quels domaines trouvent-ils que les changements sont trop lents ? » Après les relations hommes/femmes citées par 43% des interrogés (49 % des jeunes de 18 à 25 ans), ce sont les changements dans le travail qui arrivent en deuxième position (35%). Les jeunes de moins de 35 ans, qui ne sont pas les plus nombreux à vouloir un changement de société (56% au lieu de 59%) sont en revanche les plus nombreux (41%) à trouver que les changements dans le travail sont trop lents.
De quels changements parlent-ils ? L’enquête ne permet pas de le savoir. Or au cours des trente dernières années les changements dans le travail ont été nombreux. Citons notamment,
– la diffusion du numérique dans le travail notamment avec ses conséquences souvent négatives parmi lesquelles : l’intensification de la surveillance et du contrôle, le management par algorithme, un débordement du travail sur la vie personnelle, un isolement par rapport au collectif et une atomisation du travail, une « tâcheronisation » de celui-ci.
- la diffusion du télétravail ces dernières années, avec pour conséquences l’explosion des collectifs et des entreprises qui font de plus en plus de Flex office,.
- La plateformisation du travail avec pour conséquence une précarisation accrue, le retour à une rémunération à la tâche et la perte de la protection sociale liée au statut de salarié
- La diffusion des nouvelles méthodes de management dans les services publics avec des rationalisations de toutes sortes, la réduction des effectifs et la perte de sens du travail pour les salariés concernés.
Ces changements plutôt que de résoudre la Crise du travail, qui est apparue au grand jour – d’une part avec le refus absolu de voir reculer l’âge de départ à la retraite, et d’autre part avec les très grandes difficultés de recrutement rencontrées dans de nombreux secteurs d’activité à la sortie du confinement – l’ont aggravée. C’est pourquoi 26 % des interrogés pensent que les changements qui ont eu lieu dans le travail sont au contraire trop rapides.
Le risque de voir disparaitre le travail avec la multiplication des robots ou le développement de l’intelligence artificielle est notamment craint, voir effraie, 58 % des personnes interrogées, en particulier les femmes (62%).
L’enquête IPSOS, fondation Jean Jaurès, permet cependant d’appréhender les attentes en matière de travail. La question est notamment posée des trois premiers critères qui sont les leurs pour le choix d’un emploi.
Le critère le plus fréquemment cité est, devançant le salaire, l’intérêt du travail qui leur est proposé. Ainsi le critère « un poste intéressant et motivant » est cité parmi les critères déclarés par 55% des personnes interrogées. Une sur quatre le mettant même en première place. Nous sommes loin de la vision du travail que voudrait diffuser la droite à savoir, un travail réduit à l’emploi, une simple marchandise qui fait l’objet d’une offre et d’une demande sur le marché, et des demandeurs d’emploi paresseux, ou trop matérialistes et qui ne veulent plus s’investir dans leur travail (D. Meda).
Trois autres critères sont donnés par plus d’un tiers des répondants à l’enquête, à savoir « un salaire élevé » (cité par 45% des interrogés), une « bonne ambiance de travail » (44%), « un temps de travail permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle » (36 %).
Ce sont les ouvriers et les employés qui sont les plus nombreux à mettre en deuxième position « un salaire élevé » (53%). La question des bas salaires explose quand la proportion de salariés payés au SMIC atteint 17 % début 2023 contre 12% seulement deux ans auparavant et 10 à 11% entre 1995 et 2015. Surtout quand la possibilité d’évoluer est faible, du fait de la trappe à bas salaires que constituent des taux de cotisations patronales beaucoup plus faibles pour les rémunérations proches du SMIC. De fait un salarié sur deux a un salaire qui ne dépasse pas de plus de 50 % le niveau du SMIC. Pourtant le niveau de formation des salariés ne cesse de s’accroître. Les revendications d’un pouvoir d’achat décent et de la reconnaissance des compétences, restent donc primordiales. Elles s’accompagnent toutefois du souhait, exprimé par 58% de la population interrogée, de voir moins valorisé, dans une société idéale, le fait de gagner beaucoup d’argent. Quand seul un salarié sur quatre perçoit un salaire supérieur à deux fois le SMIC, il n’est pas étonnant qu’une grande majorité de la population interrogée (60%), et notamment plus de deux ouvriers sur trois (68%), souhaitent que le montant des plus hauts salaires soit limité à dix fois le salaire minimum. Les ouvriers sont même 49% à souhaiter un écart des salaires maximum de 1 à 5.
Pour le choix d’un emploi, les ouvriers sont également plus nombreux (48%) que l’ensemble de la population salariée (44%) à citer parmi leurs trois premiers critères, une « bonne ambiance de travail ». En effet, la diffusion du numérique, si elle a parfois conduit à une moindre pénibilité physique, s’est surtout accompagnée d’une intensification de la surveillance et du contrôle, accompagnée d’une atomisation du travail, et d’un certain retour au taylorisme. La précarisation des emplois a affaibli les collectifs de travail. Par ailleurs la priorité donnée aux retours des dividendes versés aux actionnaires, par la financiarisation du capitalisme a conduit à une intensification des tâches à réaliser dans un temps déterminé, et à la mise en concurrence des salariés, leur isolement au sein d’un même collectif de travail. Les collectifs de travail ont explosé et avec eux la possibilité de garder la main sur son travail. Si certains chercheurs ont pu reprocher aux syndicats et aux partis de gauche d’avoir négligé au profit des revendications salariales la question des conditions de travail, celle-ci revient en force, associée à celle de la santé au travail et celle de l’organisation du travail, surtout après la disparition des CHSCT et l’affaiblissement du rôle des médecins du travail.
Le dernier critère cité pour le choix d’un emploi par plus d’une personne interrogée sur trois (36%) est celui « d’un temps de travail permettant de concilier vie privée ou familiale et vie professionnelle ». Pourtant une autre question de l’enquête, sur le temps de travail dans la société idéale, fait apparaître qu’une réduction de ce temps (« on travaillerait moins ») recueille deux fois moins de suffrages (20 %) que « on travaillerait autant » (41%) et que « on travaillerait plus ou moins qu’aujourd’hui selon la période » (25%). Certes ceux qui répondent « on travaillerait plus », et espèrent sans doute ainsi « gagner plus », ne sont que 14%. Mais la revendication d’un passage aux 32 heures de travail à salaire égal, apparait plus comme un moyen d’accroître le salaire horaire à court terme. Dans les faits le passage de la durée légale de 39 à 35 heures, obtenu en 1998 par la loi Aubry, ne s’est pas traduit par une réduction importante de la durée effective du travail, qui, après avoir connu une forte baisse en 2020, du fait des mesures prise pour faire face à la crise sanitaire (chômage partiel), a connu depuis un fort redressement et est, en 2022, de 38,9 heures en moyenne pour les salariés à temps complet, du fait des heures supplémentaires effectuées pour gagner en pouvoir d’achat.
Parmi les autres critères donnés pour le choix d’un emploi, « la sécurité de l’emploi » n’est citée que par un enquêté sur quatre (25%). Et « l’évolution de carrière proposée » n’est un des trois principaux critères pour le choix de l’emploi que pour 20% d’entre eux. Toutefois lorsqu’on demande aux enquêtés s’ils préfèreraient, dans une société idéale, « travailler dans une ou deux entreprises tout au long de leur carrière professionnelle » ou « changer fréquemment d’entreprise » plus de 7 sur 10 choisissent la stabilité professionnelle. Les jeunes de moins de 35 ans et les cadres supérieurs sont ceux qui attendent le plus d’une mobilité professionnelle pour diversifier leurs compétences. Ils sont respectivement 38% et 34% à choisir la deuxième option « changer fréquemment d’entreprise ». En outre, le choix de la stabilité professionnelle est loin d’être l’équivalent, dans le cadre de la société idéale, du choix de travailler dans un service public jusqu’ici associé à la stabilité de l’emploi. En effet, quand on leur demande, dans le cadre d’une société idéale, « auprès de quel type d’employeur ils préfèreraient travailler », 55% des interrogés (70% des ouvriers) choisissent une entreprise privée. Seuls 25% choisissent un service public (12% des ouvriers).
Un enquêté sur quatre (25%) cite « la proximité de son lieu de résidence » parmi ses 3 principaux critères dans le choix d’un emploi. Et ils sont aussi nombreux à citer « l’autonomie dans l’organisation de son temps de travail ». Pourtant 10 % seulement souhaiteraient être « auto-entrepreneur », dans une société idéale (13% des moins de 35 ans).
Au-delà de l’aspiration à une plus grande autonomie dans l’organisation de leur temps de travail, 22% des moins de 35 ans cherchent un travail qui ait du sens « correspondant à mes valeurs ».
Pour satisfaire toutes ces attentes, permettre aux salariés de reprendre en mains leur travail, son contenu, son organisation, sa reconnaissance, les possibilités qu’il offre pour gagner en émancipation, et répondre aux besoins sociaux, ils sont aujourd’hui très nombreux à souhaiter un changement radical dans le mode d’organisation, de gestion de l’entreprise.
Au-delà des nouveaux droits des Comités d’entreprise, instaurés par les lois Auroux de 1982, pour « assurer une expression collective des salariés, permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise. ». Au-delà également des propositions de la CGT de l’époque « pour mettre en œuvre des critères nouveaux de gestion substituant au taux de profit et à la rentabilité́ du capital la logique du progrès et de la rentabilité́ économique et sociale à l’échelle du pays ».
76% des employés et 70 % des ouvriers se prononcent aujourd’hui en faveur de la citoyenneté à l’entreprise. Interrogés par les enquêteurs d’IPSOS, ils choisissent comme mode d’organisation et de gestion dans une société idéale, « une entreprise où l’équipe dirigeante doit trouver un accord avec les salariés pour les décisions importantes et en partager donc la responsabilité avec eux ». Seuls 24% des employés et 30 % des ouvriers se prononçant, eux, en faveur « d’une entreprise dans laquelle un dirigeant, ou une équipe dirigeante restreinte, prend toutes les décisions importantes et est pleinement responsable »
Face à ces aspirations actuelles à un véritable changement dans le travail, le projet communiste peut-il se réduire à une « sécurité d’emploi et de formation ‘ou à un « salaire à vie » ? D’un autre côté, le projet d’un « partage du pouvoir dans l’entreprise » peut-il avoir un avenir sans remise en cause de la définition même de l’entreprise comme la propriété des détenteurs de capitaux ? Il me semble qu’il est urgent d’en débattre.
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