La crise sociale et environnementale, dans notre pays, se double d’une crise politique voire d’une crise de régime, et c’est tout sauf un hasard ni un phénomène de circonstance.
C’est l’aboutissement – provisoire – d’une prédation capitaliste à un stade jamais atteint depuis l’avènement de l’ère industrielle, une captation des richesses produites par une oligarchie réduite à une poignée, à l’échelle de l’humanité, de possédants sans aucun scrupule.
Et ceci en toute légalité, pour l’essentiel, tant l’ingéniosité des constructions juridiques, réglementaires et discursives ont permis, et permettent encore de dissimuler les opérations de dépossession et d’expropriation des producteurs de richesses que sont les travailleuses et les travailleurs.
Cela est vrai pour notre pays et la quasi totalité des pays de la planète en leur fonctionnement interne, mais cela est vrai également dans les rapports inégalitaires entre les pays les plus développés et le reste du monde.
A ce titre, les évolutions récentes des Etats-Unis en offrent un rare et cynique exemple : les milliardaires ont pris le pouvoir pour imposer à leur propre peuple et à l’ensemble de la planète une domination brutale et sans partage !
Si l’impasse politique est si profonde, en France, c’est sans doute que les résistances à cette dépossession sont puissantes et, de manière à la fois contradictoires et convergentes, dévoilent et freinent la marche en avant triomphante de cette nouvelle – et ultime ? – phase du capitalisme.
Convergences sur le refus que les forces qui nous gouvernent depuis si longtemps (droite, centre et social-démocratie) continuent à se repasser le pouvoir pour prolonger et approfondir des politiques de soumission aux marchés et à l’abaissement des souverainetés populaires ;
Convergences sur le refus de la montée de la pauvreté et des difficultés à vivre pour l’immense majorité de nos concitoyennes et concitoyens ;
Contradictions sur les solutions à apporter, en particulier sur la mise en cause du système capitaliste plus que de se effets socio-économiques ;
Contradictions sur les voies de sortie, tant sur les ruptures à enclencher que sur les responsables à viser dans la genèse de la situation.
Ces contradictions sont majeures et nourrissent un vote populiste favorisant l’extrême-droite – pour l’heure – et nous projetant possiblement vers un régime autoritaire porteur des divisions les plus abjectes.
Mais les convergences populaires ne sont pas moins majeures et peuvent ouvrir des perspectives pour la gauche de transformation sociale et écologique à la condition d’éclairer fondamentalement la nature de la période actuelle et ses conséquences.
Les révélations du rapport sénatorial sur les « aides » aux entreprises ont, de ce point de vue, apporté aux militants un carburant nouveau et à une masse de citoyennes et citoyens la quantification des injustices mais, nous ne pouvons nous en tenir au niveau émotionnel.
Ce rapport ne fait pas simplement un chiffrage (211 milliards), mais énumère et décrit les différents types d’aides, décrypte les processus développés par les entreprises pour optimiser ces captations, dévoile l’absence d’obligations et de contrôles, fournit les exemples les plus emblématiques visant les entreprises qui versent des dividendes, licencient ou utilisent ces aides pour des investissements à l’étranger.
Le rapport ouvre enfin des propositions « institutionnelles » pour reprendre la main et sécuriser et contrôler ces dépenses publiques insensées ?
Ce que le rapport ne traite pas et qui concourt au « grand détournement » ce sont également les menées illégales des entreprises qui représentent des dizaines de milliards supplémentaires subtilisés au détriment des besoins sociaux et des services publics de ce pays.
Ce que le rapport ne traite pas c’est en quoi cette accélération depuis 20 ans de ces pratiques (votée en 2005, loi Borloo sur l’aide à domicile organise, au nom de l’emploi et de la lutte contre le travail non déclaré) a permis par le transfert massif de financements issus à la fois de l’impôt mais également des cotisations sociales de constituer des fortunes qui bien que légales peuvent apparaître totalement illégitimes.
Au fil des ans, ces plus value se sont agrégées dans les patrimoine des entreprises et dans les patrimoines des actionnaires par opportunité mais également comme moyen d’échapper à une juste fiscalisation.
C’est ce que l’on pourrait appeler la « naturalisation » de ces fonds alors même qu’en terme marxiste on pourrait l’appeler une « désocialisation » de l’argent public au bénéfice d’une appropriation privée : en clair, par ces biais, une salarié au SMIC du bassin lillois finance la rente d’un actionnaire majoritaire du CAC 40 qui a élu domicile en Belgique ;;;
A ce compte-là, évoquer la justice fiscale oblige à se pencher au moins sur ces 20 dernières années pour mesurer le delta entre les différentes couches sociales de ce pays, d’autant que ce processus de ruissellement inversé s’est accompagné par des baisses d’impôts favorables au capital et à la rente financière et foncière, des baisses de cotisations patronales (massives si on considère qu’elles représentent près de 90 milliards en 2023 à la suite de la « banalisation » du CICE cher à François Hollande et à un certain Emmanuel Macron et de la suppression des 5 % de cotisations patronales dédiées à la branche familles…) et de crises inflationnistes qui ont fait chuter le « pouvoir d’achat » des salarié.e.s.
A ce stade, par exemple, le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes étaient de 124 milliards d’€ en 2023 et de 1170 milliards en 2023 soit une multiplication de près de 10 %, ce qui correspond à une augmentation en moyenne annuelle sur 20 ans de 11,2 %, qu’il faut considérer comme l’idéal du taux de profit recherché par les grands groupes capitalistes. A noter que l’évolution du PIB cumuilé ressort à 22,3 soit 1,1 % en moyenne, le delta est donc de 10 % de richesses accumulées et privatisées au détriment de l’intérêt public, ce qui en fait le caractère illégitime.
A noter encore que la dette, calculée par les instruments imparfaits de la comptabilité publique, s’établit à 3346 milliards d’€.
A ce titre, poser la question par exemple de l’abrogation (et non pas de la suspension) des retraites ou de tout autre mesure d’amélioration de la vie des personnes et/ou du renforcement des services publics ne peut s’entendre qu’en lui assortissant les mesures nécessaires pour la financer sans solliciter encore le levier de l’impôt populaire pour l’essentiel constitué des impôts indirects dont la TVA ou des prélèvements sociaux comme les particulièrement injustes CSG ou CRDS (dont une part imposable) qui ont servi à masquer la baisse de la participation patronale au financement de la protection sociale.
Prélèvement d’une part sur le patrimoine des plus gros détenteurs de capital mobilier (parts diverses d’entreprises) et immobilier, mais également taxation de tous les ménages, progressivement à leurs revenus et mesures fortes pour contrer l’optimisation et la fuite des capitaux.
Décidément, si elle a le mérite de poser la question de la taxation du patrimoine, la taxe Zucmann est l’arbre fiscal qui cache la forêt des détournements massifs de l’argent public et de l’argent des travailleurs au profit des plus aisés des plus riches.
Toute la gauche devrait n’avoir pour seule boussole que d’arrêter ce ruissellement honteux de liquidités, d’en inverser les destinations et d’affronter réellement les tenants du capital et de celles et ceux qui les ont servis, les servent encore et n’ont aucunement renoncer à les servir demain.
Arnauld CARPIER
Communiste
Hérault – Occitanie



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