L’ouvrage de Ugo Palheta, « Comment le fascisme gagne la France, de Macron à Le Pen » est important. Son livre, avertit-il, « tâche de décrire la trajectoire d’un désastre possible, enraciné dans la décomposition du champ politique français (dont Macron est à la fois le symptôme et l’agent), mais résistible pour peu que le danger soit reconnu à temps et combattu avec détermination, unité et sens stratégique. » Pour ce faire, il confronte les résultats des travaux de nombreux chercheur.ses en histoire et en sciences humaines. La liste de ses références est impressionnante.
L’ouvrage est découpé en cinq chapitres dont les titres rendent compte du déroulé d’une analyse implacable : 1-Le retour du (concept de) fascisme, 2- Une crise d’hégémonie, 3- État néolibéral-autoritaire et fascisation, 4- l’offensive nationaliste et raciste, 5-Le RN, un parti néofasciste à la conquête du pouvoir.
L’auteur s’emploie à conceptualiser la catégorie de fascisme. Il montre la continuité idéologique avec les formes historiques antérieures du fascisme, mais se garde d’y voir « une reproduction trait pour trait ». Pour illustrer cette double exigence sa démarche ne manque pas d’originalité.
D’emblée il donne du fascisme la définition suivante : « Sans doute pourrait-on considérer le fascisme comme un mouvement de masse qui prétend œuvrer à la régénération d’une « communauté imaginaire » considérée comme organique (nation, race et/ou civilisation) et dont on craint la décomposition voire la disparition : une régénération qui doit passer par la purification ethno raciale, l’anéantissement de toute forme de conflit social et de toute contestation ». Partant de là, il va affiner cette définition en croisant des analyses sociologiques et des études historiques.
Tout en se démarquant du schéma selon lequel le fascisme ne serait qu’un instrument manié par la classe capitaliste, il montre, exemples à l’appui, que cette dernière n’hésite pas à y recourir dès lors qu’elle se sent menacée dans son hégémonie (au sens gramscien). En d’autres termes, si entre en crise la croyance des classes populaires au caractère « naturel » du capitalisme et à l’évidence de l’organisation hiérarchique qu’il fonde.
Mais dès lors que les classes dominantes sentent qu’elles vont perdre le consentement des classes dominées, elles ressortent la thèse de la nation « en péril » avant que d’être en « déclin », et en désignent les responsables :les forces progressistes, et avec elles, les prétendus « inassimilables au corps social : hier les juifs, aujourd’hui les musulmans et les immigrés. Du coup, pour la classe capitaliste il va s’agir de restaurer par la force l’unité « menacée » de la société et de donner aux « ressentiments, frustrations et peurs de toutes sortes un sens national/racial plutôt qu’anticapitaliste et de classe » Cela se traduit généralement par un durcissement autoritaire de l’État, un déploiement de mesures anti-immigrants et islamophobes, un renforcement des dispositifs répressifs contre toutes les formes de contestation.(syndicales, féministes, écologistes, antiracistes)
Restaurer l’hégémonie des classes dominantes par la force et l’idéologie
L’auteur consacre son chapitre 2, Une crise d’hégémonie, à l’analyse de la crise en France, « une crise aiguë et multiforme : économique, sociale, politique, environnementale, idéologique et même plus largement spirituelle ». Il montre que cette crise produit une reconfiguration du champ politique autour de trois blocs : néolibéral-autoritaire (macronie) jusque là dominant, nationaliste -identitaire (sous domination RN) et un bloc de gauche. Le premier s’affaiblit, le second se renforce, et le 3e est en mauvaise posture car son « unité est menacée en permanence par l’opposition entre un pôle d’accompagnement du capitalisme libéral, autour du PS et un pôle de rupture incarné par LFI »
Les classes dominantes menacées dans leur hégémonie vont vouloir la restaurer en s’appuyant toujours davantage sur la force et la violence d’État. L’auteur consacre son chapitre 3, Etat néolibéral-autoritaire et fascisation, à l’analyse des formes que prend cette « domination sans hégémonie ». Mais la domination ne suffit pas, nous dit-il. Les classes dominantes n’en sont pas encore, du moins pour le moment, à ne faire reposer l’ordre capitaliste que sur la répression. Elles vont engager une lutte idéologique en privilégiant comme terrain celui de la xénophobie et du racisme. L’auteur analyse finement cette stratégie dans le chapitre 4 : L’offensive nationaliste et raciste. Pour lui : « La question raciale est devenue l’un des axes les plus structurants de la politique française actuelle et plus largement de la lutte pour l’hégémonie ». La thèse la plus pertinente qu’il formule, c’est que les classes dominantes visent à « Favoriser la formation d’un bloc historique (au sens gramscien) en l’occurrence un bloc blanc sous domination bourgeoise dans lequel les classes populaires blanches non d’autres fonctions que de constituer un réservoir de suffrages »
Le rôle primordial du RN
Dans la construction de ce bloc, le rôle du RN est primordial, car il donne une « forme politique revendiquée et mobilisée, identifiable sur la scène électorale à une xénophobie et à un racisme omniprésents mais diffus ». Avant de revenir sur la centralité du racisme dans le projet du RN, l‘auteur tient à rappeler que ce n’est pas lui qui a introduit dans la société et le champ politique une xénophobie et un racisme. Aussi revient-il sur le rôle écrasant de la droite, particulièrement depuis la fin des années 60, mais n’épargne pas le rôle du PS et n’élude pas celui du PCF. Ceci posé, il va montrer que le projet politique du RN reste : La régénération de la nation et de son unité fondée sur la volonté d’une purification par une politique visant à briser le mouvement ouvrier à stopper l’immigration et à mettre au pas tous les éléments considéré comme hostile ou traître à la nation au perçu comme des sources potentielles de désordre et de division « Un autre passage mérite d’être cité : « Ce qui est premier idéologiquement dans le fascisme classique c’est une conception organiciste, unanimiste et in fine totalitaire de la nation et d’autre part, la prétention à résoudre les contradictions de la société présente non pas une rupture avec le capitalisme ou simplement par une réduction des inégalités mais au dépend d’ennemis notamment internes (les juifs, la gauche) quiconque comploterait contre la nation »
Le chapitre 5, Le RN, un parti néofasciste à la conquête du pouvoir, revient sur les étapes de l’ascension du RN, du milieu des années 80 jusqu’à aujourd’hui ; en insistant sur la nouvelle période qui s’est ouverte en 2011-2012 avec l’arrivée de Marine le Pen à la tête de ce parti alors que la vague sarkozyste s’essouffle et que la base électorale de la gauche s’effrite. Puis vient 2017 que l’auteur qualifie de « marche vers le pouvoir » en attestent les résultats électoraux qui suivent jusqu’en 2024. Cette ascension électorale s’est accomplie tandis que le RN « est parvenu au cours des dernières décennies à diffuser au cœur des champs politiques et médiatiques français ses thèses ou plutôt ses obsessions à savoir les 4 grandes I du discours FN : immigration insécurité islam identité nationale »
L’ancrage du RN dans la population
L’auteur en vient à la question de portée stratégique capitale pour toutes forces collectives et individuelles qui veulent « conjurer le désastre »: quel est l’ancrage du RN dans la population ?
En croisant de très nombreuse données fournies par les instituts de sondage (enquêtes qualitatives et sondages) l’auteur conclue que « la xénophobie et le racisme sont au cœur de la perception du monde social et de la politique propre aux électeurs frontistes. iIs constituent des motifs centraux du vote en faveur de l’extrême droite » S’agissant des électeurs frontistes appartenant aux classes populaires, ces motifs centraux viennent télescoper les causes sociales (pouvoir d’achat, précarisation, chômage..) qui motivent leur vote frontiste. Le RN joue ainsi le rôle de réceptacle de leurs ressentiments, leurs frustrations et pour finir leurs colères. Et ces colères, reprises et dévoyées par le RN, au lieu de s’en prendre aux classes dominantes, à ceux « d’en haut », se retournent contre d’autres victimes du capitalisme, à « ceux d’en bas », en tout cas plus bas que soi, catalogués comme des assistés et/ou fraudeurs, le plus souvent perçus comme des étrangers (non-blancs, immigré.es, minorités, musulmans).
Quelques considérations de stratégie antifasciste à discuter
La conclusion du livre porte le titre : Conjurer le désastre, renouer avec l’antifascisme. Elle est très courte, 23 pages sur les 388 du livre. L’auteur y réaffirme les convictions qui ont irriguée la totalité du livre : « le danger fasciste se fait de plus en plus pressant », « le fascisme présent ne s’annonce pas sous les mêmes dehors que le fascisme passé » A la suite de quoi, il formule « quelque considérations de stratégie antifascistes ». La brièveté du texte fait que ces considérations prenant une forme injonctive appellent bien trop de discussions pour être traitées sérieusement dans mon texte. J’invite mes lecteurs-lectrices à en prendre connaissance directement d’autant qu’elles émanent d’un chercheur important et d’un intellectuel fortement impliqué dans les luttes antifascistes.
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