Contribution

La meute n’est pas toujours celle qu’on croit

J’ai lu rapidement La meute. Le sentiment qui domine face au flot de pamphlets hainteux visant Mélenchon est l’amusement. Évidemment, ils voudraient que les classes populaires rentrent sagement à la niche (comme l’admet le tout dernier paragraphe du livre), et votent à nouveau comme les salons dorés leur demandent de le faire. La solidarité internationale, les fumées d’usine, les appels à l’insurrection, tout cela les indigne et les écoeure. Alors, ils tournent documentaire après documentaire, ils écrivent article après article, livre après livre, éditorial après éditorial : ne voyez-vous pas que ces gens sont des monstres ? Cyniques, violents, tyranniques, le visage déformé par la haine ! Éloignez-vous de ces “extrêmes” vociférants, lisez Libé, lisez Le Monde ! Bien sûr, le livre ne parle pas une seule fois des idées défendues par les uns ou par les autres, de programmes, des vicissitudes de la lutte, car pour ces gens-là, la politique est simplement une collection d’anecdotes et de bruits de couloir ; bref, un hobby de bourgeois.

La gauche radicale – jacobins, puis anarchistes, puis communistes, à présent insoumis – a toujours fait l’objet de ce type de littérature. Ce n’est pas bien grave.

Amusement néanmoins, parce qu’ils découvriront, comme à chaque fois, que personne ne se préoccupe de leurs consignes de vote. Tristesse aussi, un peu, je dois l’avouer, en constatant que des institutions que j’ai apprécié et respecté – de grands titres de presse, de grands intellectuels – n’ont vraiment plus rien à dire. Ces gens parlent dans le vide, et parce qu’ils entendent l’écho de leur voix, ils croient qu’on leur répond.

Il est hors de question pour moi d’appuyer cette campagne de presse, pour trois raisons :

1- Je n’aime pas être ridicule.

2- Je ne veux pas qu’on puisse s’imaginer que je partage l’idéologie exposée dans ces textes.

3- Si ces gens réussisssaient à briser la FI, ils briseraient aussi la gauche dans son ensemble.

Maintenant que ceci est clair, je dois aussi dire que les modes d’organisation de type “mouvement”, qui n’offrent pas de leviers de règlement démocratique des désaccords, sont à mon avis contre-productifs. Ils accélèrent les phénomènes de cour et de caste, qui peuvent effectivement être violents. De plus, s’ils peuvent régulièrement obtenir de bons résultats, comme la FI en fait la démonstration régulière depuis 10 ans, ils ont peu de chances d’atteindre un objectif pour moi essentiel, à savoir la politisation de millions de gens sur la durée, leur maintien en activité politique. Ce, pour une raison simple : la politique consiste à exprimer son opinion, à la défendre, et à la modifier jusqu’à ce qu’on parvienne à transformer le réel dans le sens qu’on vise. La question fondamentale, pour tout parti révolutionnaire, est d’entraîner dans ce processus les millions de gens à qui on ne demande jamais leur avis. Le seul moyen pour le faire est la confrontation libre des opinions, tournée vers l’action, mais préalable à l’action.

Je ne suis pas pour autant un défenseur des modes d’organisation de type “Deuxième Internationale” où toute créativité politique est diluée dans des paroles routinières répétées à longueur de congrès, d’assemblées ou de meetings. Sur ce point, Mélenchon a raison. L’exercice du congrès de cellule, puis du congrès de section, puis du congrès départemental, puis du congrès national voit disparaître un peu de vie réelle à chaque nouvel étage. Les opinions originales, les expériences de vie, les conflits – tout ça est passé à la moulinette de l’appareil permanent, des commissions truc, des secrétaires machin. Ce qui en sort est rarement opérationnel. À la fin, tout en haut, il ne reste que de la paperasse, et des gens qui s’écoutent parler. L’énergie militante s’y épuise et s’y gaspille dans des manœuvres byzantines. L’entre-soi y est suffocant. C’est ce qu’on appelle maintenant “la forme parti” -comme s’il n’y en avait pas d’autre- et décrit assez bien la logique des trois autres formations du NFP.

J’aime les organisations qui encouragent la confrontation libre entre des groupements librement constitués autour de motions librement écrites, qui votent, et qui organisent ensuite la mise en mouvement du collectif au service de la politique choisie. C’est ce que fut la fraction bolchévique de Lénine ou le parti spartakiste de Luxemburg, et c’est dans ce type de creuset que se forgent les révolutions. Je sais que ça existe. J’ai eu des expériences de ce type, très ponctuellement, à l’UEC ou au PCF. C’était bien sûr avant les reculs des dernières années, avant la glaciation du débat interne. J’en garde un souvenir ébloui. C’est pour ça que je crois en l’organisation, parce que je sais qu’elle peut être un éducateur collectif incroyable en même temps que le meilleur glaive possible pour aller au combat. Cela suppose que chaque individu se sente rattaché au collectif par des liens plus forts que l’habitude, l’héritage, la foi ou la contrainte -> mais par la conviction et l’engagement.

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