12 heures pour décrypter le monde qui vient
Un nouvel ordre mondial émerger sous nos yeux. Comment l’analyser ? Comment agir ? Un événement organisé par Alternative Communiste, Communistes Unitaires, Nos Révolutions et Urgence de Communisme.
Face à ces défis, nous avons organisé le 24 mai 2025 une journée exceptionnelle de travail, douze heures pour croiser les regards en s’appuyant sur la connaissance et la pensée d’intellectuel·les, chercheurs, historien·nes et responsables politiques.
Chaque conférence a été l’occasion d’explorer les dynamiques actuelles et de nourrir la réflexion collective.
Vous trouverez ci-dessous un compte rendu exhaustif de ces travaux.
COMPTE RENDU DE LA JOURNÉE
Ouverture
Elsa Faucillon | députée des Hauts-de-Seine
Elsa Faucillon a ouvert la journée « 12 heures pour décrypter le monde qui vient » en affirmant que ce temps collectif n’a pas été un luxe, mais une nécessité face à un monde en accélération, traversé par des crises multiples et convergentes. Elle a situé l’enjeu politique dans la possibilité même de comprendre, nommer et contester le réel, dans un contexte où les savoirs critiques, la pensée, la création sont attaqués frontalement par l’offensive néofasciste, car ils constituent des leviers pour changer l’ordre établi.

Elle a pointé l’emboîtement des dynamiques impérialistes, coloniales, militaristes, économiques et écologiques : la guerre en Ukraine, relue comme un moment de reconfiguration inter-impérialiste, a été le catalyseur d’une fuite en avant militaro-industrielle et néolibérale de l’Union européenne. Cette guerre a permis de museler les contradictions sociales internes, de durcir les politiques migratoires, et de relancer une compétition mondiale pour les ressources, les technologies et les marchés.
Elle a montré comment cette offensive globale s’est articulée à une montée assumée de l’extrême droite mondialisée, à la marchandisation des catastrophes, et à un capitalisme de la peur où l’industrie sécuritaire et militaire tire profit des désastres qu’elle contribue à créer. À Gaza, elle a vu un épicentre de cet ordre impérialiste : laboratoire colonial, soutenu par les puissances occidentales, où les vies sont hiérarchisées et les technologies de répression expérimentées puis exportées.
Contre cela, elle a défendu un internationalisme renouvelé — un internationalisme du bas, solidaire des luttes des peuples, du Chiapas à Gaza, de Jénine aux quartiers populaires français, qui refuse le « choc des empires » et se fonde sur la construction d’un horizon révolutionnaire articulant justice sociale, écologie radicale, féminisme matérialiste et démocratie réelle.
Elle a rappelé que les idées communistes ne peuvent survivre qu’en se réinventant, dans le dialogue avec les luttes contemporaines, les pensées décentrées venues des Suds, et les résistances populaires concrètes. Elle a appelé à sortir du productivisme, à briser l’imaginaire consumériste et à reprendre la main sur le temps comme condition de la liberté. Penser la transformation, pour elle, suppose de renouer avec une politique du vivant — fragile, plurielle, située — mais seule à même de porter une promesse révolutionnaire à la hauteur du moment
Lire le texte de son intervention
L’art de la paix : utopie ou nécessité?
Bertrand BADIE, professeur de relations internationales
Dans cette conférence , Bertrand Badie présente une analyse critique des relations internationales, soulignant l’obsolescence du modèle de guerre traditionnel et la nécessité d’une nouvelle approche de la paix. Il met en avant l’importance de l’inclusion, de l’interdépendance et de la mobilité dans le monde actuel, tout en critiquant le concept d’hégémonie et le déterminisme économique. Badie plaide pour une vision plus large de la paix, englobant la sécurité globale, le bien-être mondial et le respect de l’altérité, et souligne l’importance de l’éducation à la paix pour transformer les comportements sociaux.
Lire l’intervention de Bernard Badie
Quelle place pour la solidarité dans l’ordre international de 45 à nos jours ?
Bernard DRÉANO, Président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale et co-fondateur de l’Assemblée européenne des citoyens
Bernard Dréano présente une analyse historique de la solidarité internationale depuis 1945, en soulignant trois phases principales : la guerre froide, l’ère néolibérale et la période actuelle marquée par des crises multiples. Il évoque l’évolution des mouvements de solidarité, notamment l’altermondialisme et les Forums sociaux mondiaux, tout en mettant en lumière les défis actuels tels que la crise climatique et l’émancipation des femmes. Bernard souligne les progrès et les régressions au niveau des États en matière de droit international et de solidarité, tout en questionnant les difficultés à organiser une solidarité internationale efficace face aux enjeux contemporains.
L’espace : nouveau champ de bataille ?
Jean-Pierre BIBRING, professeur d’astrophysique
Dans cette conférence, il revient sur l’utilisation militaire de l’espace. Il explique les concepts d’arsenalisation et de militarisation de l’espace, en mettant l’accent sur l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) des années 1980 et ses implications actuelles. Bibring souligne les risques majeurs liés à l’automatisation des systèmes d’armes spatiales et exprime son inquiétude quant à la reprise potentielle de la “guerre des étoiles” par les États-Unis.
Introduction des travaux de l’après-midi
Marie-Pierre Vieu (co-présidente de la Fondation Copernic)
Marie-Pierre Vieu, revient sur les priorités de luttes à partir de son expérience comme co-Présidente de la Fondation Copernic. Elle revient sur l’histoire et les combats de la fondation, née dans le sillage du mouvement social de 1995. Elle souligne la nécessité de faire converger les forces de transformation sociale — syndicats, associations, mouvements politiques — autour d’un projet ancré dans les réalités sociales actuelles. Elle insiste sur l’importance d’intégrer pleinement les enjeux féministes et écologiques dans une gauche de rupture, capable de dépasser les logiques marchandes. À l’horizon 2027, elle appelle à construire une majorité politique autour d’un projet clair, en lien avec les luttes sociales, pour faire reculer l’extrême droite et les politiques néolibérales.
Henriette Zoughebi (animatrice de la coopérative des idées 93)
Dans cette intervention, Henriette Zoughebi, présidente de la Coopérative des idées 93, défend une approche politique fondée sur l’écoute des « experts du quotidien », c’est-à-dire les habitant·es eux-mêmes. Elle souligne l’importance de l’émancipation, de la lutte contre les inégalités, et de la reconnaissance de l’altérité comme richesse collective.
Elle appelle à prendre toute la mesure de la lutte féministe, non comme sujet annexe, mais comme enjeu central de transformation. Elle insiste aussi sur la nécessité d’une éducation à la paix dans une société marquée par les conflits et les fractures. Enfin, elle évoque l’émergence d’une « génération Palestine », engagée, lucide et porteuse d’un nouvel horizon émancipateur.
Appréhender la complexité des enjeux du Proche-Orient
Isabelle Avran, journaliste et historienne
Lors de cette conférence, elle a présenté un aperçu détaillé de la situation en Palestine, abordant l’histoire du conflit, les forces politiques palestiniennes et les défis actuels. Elle souligne l’importance de la reconnaissance de l’État palestinien, tout en mettant en garde contre la définition externe de son avenir politique. Isabelle Avran évoque également les difficultés de mobilisation pour la cause palestinienne et la nécessité de lutter contre l’instrumentalisation du discours sur l’antisémitisme.
Et la Chine dans tout ça ?
Martine Bulard, économiste, journaliste à Orient XXI
Lors de cette conférence, Martine Bulard a fait le lien avec la précédente oratrice en évoquant la position de la Chine sur la question palestinienne, soulignant son soutien historique à l’OLP et sa condamnation récente des actions israéliennes. Elle a ensuite exposé les évolutions de la Chine depuis les années 1970, son insertion dans la mondialisation et sa stratégie de développement. Elle est revenu sur les évolutions qui ont permis à la Chine de passer d’un pays pauvre à la deuxième puissance économique mondiale, en mettant l’accent sur les réformes économiques, les investissements étrangers et la politique des “routes de la soie”. Elle a abordé également la conception chinoise des relations internationales, basée sur les principes de non-ingérence et de coexistence pacifique, ainsi que les défis actuels auxquels le pays fait face, notamment dans ses relations avec les États-Unis.
Où va l’Europe dans ce chaos géopolitique ?
Marie-Christine Vergiat, direction de Euromed Droits
Marie-christine Vergiat, ancienne députée européenne, présente un aperçu historique de la construction européenne, soulignant les défis liés à l’élargissement rapide et aux changements politiques. Elle met en lumière la montée de l’extrême droite dans plusieurs pays membres et son impact sur les institutions européennes. Vergiat critique également la gestion des dérives démocratiques, notamment dans le cas de la Hongrie sous Viktor Orban, et s’inquiète de l’affaiblissement des valeurs démocratiques au sein de l’Union européenne.
Le mouvement social et la paix ?
Benoît Teste et Benoît Martin, syndicalistes
Les deux syndicalistes ont débattu des enjeux internationaux, notamment la montée de l’extrême droite et les dangers de la guerre, et a souligné l’importance de la défense des services publics et des droits sociaux pour prévenir la guerre. Ils ont également abordé les défis de l’Union européenne, y compris l’austérité et le dumping social, et ont suggéré des moyens potentiels de les atténuer. Enfin, ils ont envisagé la possibilité de revoir et de relancer des initiatives similaires à l’avenir, en se concentrant sur des sujets internationaux et en encourageant l’intelligence collective.